Quarante-huit heures après l’effondrement record connu par Wall Street, la police financière américaine enquête. Comment, jeudi soir, le Dow Jones a-t-il pu plonger de 9,2% en quelques minutes – avant de remonter –, faisant brièvement partir en fumée 1000 milliards de dollars? Comment des géants comme Accenture, Philipp Morris ou Procter & Gamble ont-ils vu leurs actions s’écrouler en un clin d’œil de 40%, 50% ou plus? Même le président Obama est monté au créneau hier, demandant que la lumière soit faite sur ces mouvements erratiques.

Erreur humaine? Pas sûr…

Le flou reste total sur le facteur précis ayant déclenché la panique. Jeudi, les regards se sont focalisés sur une possible erreur de frappe d’un «trader» de Citigroup. Les précédents sont légion. Le 20 octobre 1987, un employé de George Soros avait ainsi transmis un ordre dix fois plus gros que prévu, faisant plonger le Dow de 10%. Cette thèse semble cependant peu à peu écartée. «Dans notre firme – et a fortiori chez Citi, qui dispose de services informatiques entiers –, des filtres très simples visent à empêcher ce type d’erreur; au pire le système laissera échapper une vente erronée de deux «lots» au lieu d’un seul… pas d’un milliard», avance Camille Hayek, responsable de Dynamic Capital, un hedge fund spécialisé dans le trading systématique. Pourtant, «dans l’affaire Kerviel, la Société Générale n’avait pas appliqué les procédures permettant d’éviter les paris excessifs pris par son courtier», rappelle Jürg Schwab, chef de la salle des marchés de Swissquote.

Des semaines sous tension

Les responsables de ce mini-krach sont d’autant plus difficiles à cerner que l’effondrement n’est pas venu de nulle part. «Les marchés avaient une sale tête dès le début de journée», se rappelle Camille Hayek. La «moitié» des 1000 points perdue par le Dow au plus noir de la journée a probablement été le fruit de ventes «normales», rappelait hier l’un des responsables de la bourse de New York. Car, en dépit de la hausse de Wall Street depuis février, les investisseurs restent nerveux: des millions d’ordres de protections «stop-pertes» – dont le déclenchement a amplifié la baisse de jeudi – avaient ainsi été semés ces derniers mois.

Un étrange arrêt des robots

Si l’origine du plongeon reste à éclaircir, la lumière commence à être faite sur la façon dont certains participants – les banques ou les hedge funds, dont les ordinateurs chassent les actions qui semblent baisser sans bonne raison – n’ont rien fait pour l’enrayer.

Normalement, cette activité a pour effet collatéral de calmer les baisses irrationnelles des cours. Or, selon Camille Hayek, «certains gros intervenants de ce type n’ont plus joué ce rôle jeudi». Arrêtant leurs systèmes durant la panique. Pourquoi? Une étude de Morgan Stanley, publiée mercredi, fournissait une piste: depuis «des jours», ces «fournisseurs de liquidité à court terme» perdaient de l’argent.

La bourse court-circuitée

Le plongeon aurait également été exacerbé par le fonctionnement du NYSE. Ce dernier dispose certes de «coupe-circuit»: si la baisse va trop loin, les ordres sont suspendus. Tout ne s’arrête pas pour autant. Jeudi, en dépit du coup de sifflet de l’arbitre, une partie de l’avalanche d’ordres de vente a été renvoyée sur d’autres plates-formes d’échange électroniques. Les transactions y ont été débouclées. A prix massacré.

Hier le Nasdaq – l’autre grand marché boursier américain – a promis que tous les échanges conclus jeudi chez lui à moins de 60% de la valeur initiale seraient annulés. Cette décision n’empêche cependant pas de relancer le débat sur les effets pervers qu’a eus la dispersion des transactions boursières américaines sur une multitude de platesformes électroniques, ces dix dernières années. Pour rappel, sur les 30 milliards de titres ayant changé de mains durant ce jeudi noir, seuls 2,6 milliards ont été négociés sur la bourse de New York.