Dans l’assurance numérique, les regards sont braqués depuis mardi sur Wefox, cette start-up d’origine suisse installée à Berlin qui est parvenue à lever 650 millions de dollars (584 millions de francs) en quatre semaines, lors d’un troisième tour de table orchestré par le fonds allemand Target Global. La valorisation de cette licorne, qui a réalisé 140 millions de dollars de chiffre d’affaires l’an dernier, est ainsi passée à 3 milliards, contre 1,65 milliard en décembre 2019.

La promesse de son site internet est «Pas de paperasse. Pas de stress.» Principalement active dans l’assurance voiture, elle construit son argumentaire sur des primes basses et des remboursements «huit fois plus rapides que la moyenne des assureurs», rendus possibles grâce à l’automatisation des tâches. Chez Wefox, 80% des services sont assurés par un algorithme. Une part que la société, qui emploie environ 600 personnes – dont une minorité en Suisse – et compte environ 500 000 clients, prévoit d’augmenter à 90%, dans un délai non précisé.

Son credo? «Prévoir et prévenir», plutôt que «réparer et remplacer». Elle dit pouvoir empêcher 30% des événements provoquant des pertes et des dommages grâce à l’internet des objets et l’intelligence artificielle, en utilisant notamment les données fournies par nos smartphones. Grâce à sa levée de fonds, Wefox entend renforcer ses activités en Europe – elle est déjà présente en Suisse, en Allemagne, en Autriche et en Pologne – et se développer aux Etats-Unis et en Asie. Mais aussi lancer une vingtaine de nouveaux produits. Contactée, Wefox n’a pas répondu à nos questions.

Lire aussi: Levée de fonds record pour la licorne Wefox

Un outil pour courtiers

La particularité de Wefox est qu’elle ne proposait pas ses propres assurances lors de sa création en 2015: «Il s’agissait d’une application conçue pour des courtiers, leur permettant de se connecter à leur clientèle de manière plus efficace. Cette activité générait un grand volume, mais des marges faibles, les commissions étant fixées à quelques pour mille», indique au Temps Morgan Schaeffer, associé et spécialiste des assurances chez Deloitte.

L’entreprise a ensuite décidé de créer son propre call center, de manière à offrir un support téléphonique aux courtiers, qui proposaient là encore des assurances d’autres sociétés. Une étape supplémentaire est franchie lorsqu’elle acquiert One Insurance, fondée au Liechtenstein en janvier 2018, qui lui permet de lancer sa propre assurance automobile en Suisse et dans l’Union européenne.

«La société poursuit actuellement l’activité de courtage pour des tiers tout en développant ses produits», ajoute le spécialiste. Selon lui, le succès de la levée de fonds de Wefox s’explique en grande partie par le fait que, contrairement aux assureurs traditionnels, elle s’est construite dès l’origine autour d’un modèle numérique. «Cela lui permet de s’adapter et de lancer des nouveautés beaucoup plus rapidement que des sociétés qui doivent numériser des structures classiques.»

Lire aussi: La «bulle des licornes» a fait bien plus que survivre à la pandémie

Gagner la confiance des clients

Malgré son succès auprès des investisseurs, la start-up fait face à de nombreux défis. La concurrence des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) tout d’abord, qui lorgnent eux aussi sur le secteur des assurances. Mais surtout, il faut gagner la confiance des clients: «C’est le plus grand obstacle dans le domaine de l’assurance numérique. En Suisse, 90% des assurés sont fidèles à leur compagnie, et ils attachent une grande importance au contact direct lors de sinistres. Les nouvelles générations y seront peut-être moins sensibles», conclut Morgan Schaeffer.

Le directeur général de Moneyland, Benjamin Manz, considère lui aussi que ce financement «n’est pas une garantie de succès global. Encore faut-il que l’exécution stratégique soit bonne.» Il estime en revanche que les clients se focalisent uniquement sur les meilleures prestations au meilleur prix: «Les conseillers ne seront nécessaires que pour les produits complexes, comme les assurances d’entreprises.» Selon lui, seules les compagnies d’assurances bien positionnées sur le plan numérique réussiront à l’avenir.