Le Tribunal administratif fédéral (TAF) vient de rendre un arrêt intéressant (4 octobre 2016, cause B-5586/2013) en matière d’application par une banque des règles anti-blanchiment. La banque en question avait entretenu des rapports avec M. Stanford et son groupe de sociétés; M. Stanford était un financier qui avait connu un certain succès avant d’être condamné à 110 ans de prison ferme pour des infractions de nature patrimoniale. La Finma avait rendu une décision constatant que la banque avait gravement violé le droit de la surveillance. Décision attaquée par la banque, sans succès, devant le Tribunal administratif fédéral.

Le TAF confirme l’approche rigoureuse adoptée par la Finma en la matière. On notera ici un effet indirect de la démarche de la banque: la publicité désormais rattachée aux difficultés qu’elle a rencontrées. En Suisse (contrairement à d’autres pays), la Finma ne publie que rarement des décisions de sanction dans leur intégralité. En revanche, à partir du moment où une cause est portée devant une juridiction fédérale, les arrêts rendus sont accessibles sur internet.

Détecter rapidement les anomalies

De façon générale, la Finma faisait grief à la banque d’avoir entretenu des relations d’affaires de nature commerciale avec le groupe Stanford alors que son activité première était le private banking. Les comptes du groupe avaient été utilisés pour conclure des transactions qui ne concernaient pas la gestion de fortune et pour entretenir des rapports de banque correspondante. Or, la banque suisse qui accepte de telles relations doit être à même de gérer les risques qui en découlent. Cette conclusion est compréhensible. La vraie difficulté pour les organes d’une banque est celle d’avoir une cartographie précise des transactions conclues sur les comptes ouverts en ses livres pour détecter rapidement des anomalies par rapport à l’usage qui devrait en être fait.

Une attention particulière doit être prêtée en cas de rapports avec d’autres établissements actifs dans le secteur bancaire ou financier; de multiples transactions peuvent intervenir sur le compte de la banque suisse si ces contreparties ont de nombreux clients. Selon le TAF, ces transactions, aussi nombreuses soient-elles, peuvent devoir être examinées au regard des exigences helvétiques.

Des lacunes flagrantes

La banque avait également failli en ne qualifiant pas M. Stanford de personne politiquement exposée (PEP). Elle savait que M. Stanford avait une relation personnelle étroite avec le Premier ministre d’Antigua-et-Barbuda; de ce fait, M. Stanford était un PEP alors même que la banque n’avait pas d’éléments permettant de conclure à l’existence de rapports d’affaires entre les intéressés. Cette classification devait s’étendre également aux sociétés opérationnelles contrôlées par M. Stanford. Les rapports avec le groupe Stanford étaient, de ce fait, aussi à risque accru et devaient faire l’objet d’une analyse critique étendue.

Pour procéder à cette analyse, la banque doit disposer des informations et des documents requis selon sa réglementation interne. Or, le TAF constatait des lacunes flagrantes: de nombreux formulaires n’avaient pas été correctement remplis; des fiches manquaient; des cases n’avaient pas été cochées; les profils n’avaient pas été signés par les personnes habilitées à le faire. Ce qui conduit à deux remarques. La première que la lutte anti-blanchiment présente également un aspect formel qui doit être rigoureusement respecté. La seconde que les organes d’une banque doivent réfléchir avant d’édicter des règles trop complexes qu’ils auront des difficultés à respecter.

Un manque de rigueur général

L’arrêt rappelle également que la lutte anti-blanchiment ne se limite pas à un aspect formel. Les informations présentes dans le dossier de la banque devaient en effet être analysées par cette dernière d’un œil critique et le processus de réflexion suivi devait être documenté pour pouvoir être reconstitué. Les rapports à risque accru ne sont pas interdits, mais le risque doit être identifié et analysé; il est également nécessaire de comprendre pour quels motifs l’établissement a estimé qu’il pouvait être couru. Les mêmes principes s’appliquent s’agissant de la documentation relative à la clôture des alertes générées par le système informatique de la banque. Selon le TAF, la banque avait fait preuve, sur toutes ces questions, d’un manque de rigueur général incompatible avec ses devoirs de diligence (cons. 6.3).

Un passage peu clair

On notera que l’arrêt du TAF contient un passage peu clair sur le rôle du service compliance (cons. 6.2). Selon le TAF, «l’activité de ce dernier ne saurait se limiter aux opérations jugées à risque accru par le gestionnaire puisqu’il doit veiller de manière générale au respect des normes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.» Le rôle exact que le service compliance doit jouer dépend de la réglementation interne de chaque établissement telle qu’elle est élaborée dans le respect des principes posés par la Finma (Circulaire 2008/24 devenue 2017/1).

Le compliance doit principalement créer le cadre approprié pour la lutte anti-blanchiment en tenant compte du profil de risque de chaque établissement et de ses activités. Il doit intervenir s’il estime que ce cadre n’est pas approprié; le compliance ne doit pas forcément examiner toutes les transactions dans le but de détecter toutes les irrégularités possibles. La lutte contre le blanchiment d’argent est en effet d’abord la tâche de première ligne de défense, ce qui est souvent oublié.

Un argument intéressant

La banque soulevait enfin un intéressant argument relatif à la compatibilité de la procédure suivie par la Finma avec la CEDH puisque cette autorité peut prononcer des sanctions de nature pénale. Le TAF n’entrait pas en matière; la décision rendue par le régulateur était simplement une décision constatant la violation des exigences réglementaires et elle ne représentait pas une sanction pénale. On ne peut que regretter cette conclusion pour des motifs qu’il n’est pas possible d’examiner dans le cadre limité qui nous est attribué.