Le recrutement subit aussi les mutations du monde du travail et la montée en puissance du numérique. En quatre articles, la HandelsZeitung et Le Temps explorent les nouvelles pistes. Ceci est le premier.

Le Temps: Vous êtes partenaire chez Egon Zehnder mais vous avez étudié la musique et on dit que vous êtes un excellent contrebassiste. Qu’ont en commun la musique et la quête de cadres dirigeants?

Clemens Hoegl: Il y a sûrement un parallèle dans la quête de la performance maximale. J’ai renoncé à ma carrière de musicien professionnel quand j’ai admis que je ne ferais jamais partie des contrebassistes exceptionnels. Chez Egon Zehnder, nous soutenons les entreprises à l’interne et à l’externe en dénichant des personnes dotées de capacités et de potentiel pour une performance maximale, en les évaluant et en les faisant évoluer.

Quel type de poste votre entreprise pourvoit-elle le plus souvent?

Nous nous concentrons sur le recrutement en matière de postes dans le top management, mais aussi sur l’évaluation des gens en place, des équipes et de leur évolution. Nous sommes très actifs au niveau des conseils d’administration, des CEO et des membres de la direction. Nous avons des équipes de spécialistes dans divers secteurs tels que l’industrie, la pharma, la chimie, la banque, l’assurance et pour des postes aux RH, comme directeurs des finances ou Chief Marketing Officers ou Legal.

Vous travaillez en équipe?

Oui. Pour tout poste à pourvoir nous avons plusieurs conseillers et chasseurs de têtes. Il y a un atout à pouvoir discuter les projets. Ce qui est particulier chez Egon Zehnder, c’est que nous avons au fond un système socialiste. La collaboration avec nos partenaires globaux est étroite. Au bout de cinq ou sept ans, nos collaborateurs peuvent être choisis comme partenaires s’ils évoluent bien. L’ensemble des bénéfices est réparti entre nos partenaires globaux selon une clé assez simple: 60% par personne, 40% par année d’ancienneté. Peu importe où il travaille, en Inde ou à New York, tout partenaire avec sept ans d’ancienneté touche la même chose. Nous croyons que nous travaillons le mieux lorsque nous pouvons mettre l’ensemble de notre know-how à disposition. Du coup, toute recherche est de la même importance dans le monde entier. Cela simplifie aussi la collaboration entre partenaires sur toute la planète.

Comment se déroule un processus de recherche classique?

Dans un premier temps, le client nous décrit la situation: pourquoi il lui faut un nouveau CEO, que doit connaître la personne, quel potentiel elle doit apporter? Nous travaillons en général avec des conseillers de chez nous qui connaissent déjà très bien l’activité, la fonction et, idéalement, l’entreprise. Puis intervient la phase «research» au cours de laquelle nous examinons nos banques de données internes et externes dans le monde entier et où nous interrogeons nos réseaux. Nous questionnons des gens que nous connaissons sur de possibles candidats que nous rencontrons, ou alors pour obtenir des informations additionnelles et des références. Puis nous mettons sur pied une liste de dix à dix-huit noms que nous discutons avec le client, y compris les avantages et les inconvénients. Ensuite, nous décidons des noms que nous pouvons envisager pour le poste. En même temps, nous commençons à évaluer les candidatures internes à l’entreprise.

Vous cherchez aussi au sein de l’entreprise même?

Oui, les candidats internes et externes ont les mêmes chances, c’est très important. Il n’est pas toujours simple de faire venir les gens pour discuter. Parfois, ils ne sont pas tellement intéressés par tel ou tel poste. Il est alors utile que nous ayons l’un ou l’autre nom. Nous interviewons les candidats et rédigeons un rapport sur chacun d’eux. Finalement, nous collectons les références. Nous venons en appui à un processus de décision. Dans certains cas, il peut y avoir une phase difficile en attendant que la personne s’y retrouve dans son nouveau rôle.

Combien de temps dure un tel processus?

Normalement trois à quatre mois.

Quels sont les facteurs déterminants qui ont, à ce jour, contribué au succès d’Egon Zehnder?

Il nous faut des collaborateurs aussi bons que possible. Nous avons beaucoup de collaborateurs expérimentés qui connaissent très bien le marché. Nos conseillers et nos chercheurs ont une excellente connaissance du secteur, ils font tous état d’une carrière dans l’industrie comme conseillers. Nous formons nos collaborateurs chaque année au gré de formations plus ou moins longues. En plus, nous nous soucions d’avoir la bonne culture d’entreprise, afin que les gens collaborent au mieux et avec plaisir.

Nous ne recourons pas à des questions standardisées. L’essentiel est qu’en interview il n’y ait pas de réponses justes ou fausses.

Quelles sont les questions cruciales posées au cours d’une interview?

C’est un processus structuré, quand bien même nous ne recourons pas à des questions standardisées. L’essentiel est qu’en interview il n’y ait pas de réponses justes ou fausses. Nous voulons non seulement savoir ce qu’une personne a fait – idéalement, nous devrions déjà le savoir auparavant – mais aussi comment elle l’a fait. Un projet qui n’a pas donné de bons résultats peut quand même être un exemple positif, parce qu’il peut montrer comment une personne a abordé un problème. Une évaluation classique par le biais de questions sur des situations hypothétiques a du sens au début d’une vie professionnelle, tandis que nous avons affaire à des candidats qui ont déjà une carrière derrière eux. Ce qui nous importe, c’est de savoir comment ils ont réellement fait les choses, pourquoi, ce qu’ils en ont appris et si, aujourd’hui, ils feraient différemment.

Quelle est l’importance en l’occurrence des «soft skills», des compétences relationnelles?

C’est essentiel. Les plus hautes compétences spécialisées ne servent à rien si elles ne sont pas utilisées en lien avec des facteurs soft tels que capacités de commander, de travailler en équipe, de vivre et induire le changement. Un CEO n’échoue en général pas dans sa compréhension de l’industrie. Mais l’aptitude à diriger, la communication, la collaboration avec une équipe et avec le conseil d’administration sont des facteurs importants. C’est pourquoi la question du «comment?» est si essentielle. Comment un tel a-t-il tenté de résoudre un problème ou d’atténuer un conflit?

Mais y a-t-il des comportements spécifiques qui constituent une barrière?

L’honnêteté est très importante. Si quelqu’un raconte qu’il a assumé tel rôle dans une entreprise et que cela ne correspond pas à la réalité, ce n’est pas bon. Ou quand quelqu’un est censé assumer un rôle dirigeant mais ne parle jamais des collaborateurs au cours de l’entretien. Ou s’il s’attribue un succès qui n’a pas été le sien. Au préalable, nous approfondissons notre connaissance de la branche, de l’entreprise, de la personne et de la fonction afin de minimiser les risques. Il arrive très rarement que nous appréciions quelqu’un de manière erronée. On a vu dans notre benchmark que, ces trois ou quatre dernières années, nous étions dans le juste dans 86% des cas à propos de la capacité des gens à maîtriser avec succès ou non l’étape suivante.

Les plus hautes compétences spécialisées ne servent à rien si elles ne sont pas utilisées en lien avec des facteurs soft tels que capacités de commander, de travailler en équipe, de vivre et induire le changement

Quel rôle joue la présentation, l’image donnée à l’extérieur?

Dans notre formation, nous travaillons beaucoup sur les préjugés inconscients. Il existe des préjugés sur l’apparence, le genre, l’âge ou l’orientation sexuelle. Etre grand et beau a des avantages et des inconvénients. Si une femme est très belle, on la regardera différemment que si un homme est très beau. Nous sommes très attentifs à analyser ce qui nous séduit ou non chez une personne. Nous entendons retenir des traits vraiment importants car, après tout, nous ne travaillons pas dans la mode.

Des études assurent que les personnes belles ont plus de succès…

C’est possible. Selon une étude américaine, il y a également une relation entre la taille et le salaire annuel. Cela joue un rôle, il suffit d’en être conscient.

Quelle est la part des femmes parmi les candidats?

C’est un sujet cardinal pour le top management et les conseils d’administration. Actuellement, nous repourvoyons 42,9% des sièges de conseils d’administration par des femmes. Nous recevons beaucoup de demandes ciblées résolument sur des femmes. Il n’est quand même pas possible de renoncer à 50% des talents produits à chaque génération! Mais la diversité des sexes n’est qu’un aspect, il faut aussi la diversité des âges. A la fin d’une carrière, on a accumulé un trésor d’expérience et l’horizon change, mais on est peut-être un peu plus enclin au risque qu’en milieu de carrière.

Quel rôle jouent les médias sociaux à votre niveau?

LinkedIn devient de plus en plus important. Beaucoup d’entreprises font aujourd’hui elles-mêmes les recherches pour le niveau moyen, que nous pratiquions encore il y a dix ou quinze ans. C’est pourquoi nous mettons désormais l’accent sur le top management et les spécialistes de haut vol. Comme tous les CV sont à disposition, l’intensité de la consultation augmente. Le CV n’en est qu’une petite partie. Tout l’art consiste à observer les gens sur plusieurs années, à les jauger, les connaître, les amener au dialogue et à entreprendre la consultation.

Combien de candidats voyez-vous en moyenne pour un poste?

Cela dépend du poste. Lorsque nous cherchons un CEO pour une grande banque, une dizaine de personnes dans le monde entier entrent en considération. Si nous cherchons un directeur financier pour une PME, il peut théoriquement y en avoir 200 ou 300. Nous procédons alors à une présélection raisonnable.

Dans votre processus, à quel moment parle-t-on d’argent?

Nous sommes plutôt du style à en parler assez tardivement, car nous souhaitons que les gens s’intéressent à la tâche pour des raisons de contenu. Il va de soi qu’ils doivent être correctement payés. Mais si quelqu’un ne s’intéresse à un poste que pour le salaire ou s’en inquiète très tôt, c’est manifestement une mauvaise approche.


Clemens Hoegl est partenaire chez Egon Zehnder. Il est diplômé en musicologie et en économie. Egon Zehnder International est l’entreprise leader dans le monde en matière de Laedership Advisory et d’Executive Research. Elle emploie en Suisse 15 conseillers, 15 chercheurs et 30 autres collaborateurs; dans le monde, un total de 1800.