Avec Maurice Machenbaum, Etienne Eichenberger occupe le territoire de la philanthropie à Genève depuis plus de quinze ans. Les deux associés ont d’abord créé Wise, consultant spécialisé, puis ils ont compté parmi les artisans de la création d’une formation avec le Centre en philanthropie des Universités de Genève et de Bâle. Ils ont aussi cofondé Swiss Philanthropy Foundation, qui a déjà abrité environ 200 millions de francs et distribue en moyenne 8,5 millions de francs de dons par an. Cette dernière structure fait partie d’un réseau européen qui se réunit pour la première fois à Genève cette semaine. Rencontre. 

Le Temps: Swiss Philanthrophy Foundation a rejoint un réseau européen de fondations il y a dix ans, pour quelles raisons?

Etienne Eichenberger: Grâce à Transnational Giving Europe (TGE), nous sommes dans les pas de grandes institutions comme la Fondation de France ou la Fondation Roi Baudoin en Belgique. Cette structure permet à des citoyens européens qui résident dans un des 20 pays membres de pouvoir donner en bénéficiant de la même reconnaissance juridique et fiscale que celle du pays dans lequel ils résident. Par exemple, une personne établie en Belgique qui veut soutenir le CICR peut le faire dans de bonnes conditions. Nous sommes un membre important de ce réseau car nous sommes dans les cinq plus grands partenaires en termes de mouvement de fonds. 

Etre dans ce réseau vous amène-t-il des fonds importants?

Nous pensions, comme tout le monde, que beaucoup de fonds partiraient de Suisse pour soutenir des causes à l’international, mais c’est l’inverse qui se produit. Il y a plus d’Européens qui donnent en Suisse que de Suisses qui donnent à l’Europe. En tant que membre du TGE, cela nous donne une exposition européenne et une incitation à nos partenaires de donner plus. Faciliter des dons constitue notre mission. Si vous avez donné 100 au CICR et que 30% sont exonérés de l’assiette fiscale, pourquoi ne mettriez-vous pas les 30% de plus? 

Vous êtes à la tête de deux institutions, Wise et Swiss Philanthropy Foundation (SPF). En quoi sont-elles distinctes?

Ce sont deux institutions séparées qui ont un fonctionnement indépendant l’une de l’autre. Il y a un lien de personne, Maurice Machenbaum et moi-même avons fondé les deux institutions. Il y a des liens de synergies: être dans les mêmes bureaux avec nos sept collaborateurs au total nous permet de créer un hub de compétence plus complet.   

On voit que la gouvernance de la philanthropie devient de plus en plus sophistiquée. Comment s’est déroulée cette évolution?

La particularité du marché suisse tient au fait que les entreprises préfèrent l’indépendance que leur offre une fondation alors que les particuliers s’intéressent de plus en plus à une nouvelle forme de structure que nous appelons le «fonds abrité». 

Pourquoi?

Il y a un boom de la création de fondations en Suisse: près de 60% d’entre elles ont été créées ces vingt dernières années. Mais il apparaît aussi que pour deux structures créées, une disparaît. Certaines ont consommé leurs fonds, d’autres ont terminé leur mission, par exemple. Surtout, il apparaît que si les gens créent avec beaucoup d’enthousiasme une structure pour faire de la philanthropie, ils se rendent compte aussi assez vite que c’est une charge, tant d’un point de vue financier qu’administratif.

Sans compter qu’il faut s’entourer de personnes compétentes dans un conseil et que ces dernières ne sont pas toujours très disponibles. Le fonds abrité apporte une réponse à pas mal de ces besoins en centralisant des bonnes pratiques et en mutualisant les coûts.

Ce boom de la philanthropie est-il généralisé en Europe?

Oui. La moitié des fondations actives en Europe ont été fondées ces quinze à vingt dernières années et ce besoin de renouveau dans la pratique du mécénat se fait ressentir. Le changement fondamental vient de la différenciation entre l’usage et la propriété. L’usage, c’est de pouvoir donner de manière professionnelle et engagée. La propriété, c’est disposer d’une structure, l’administrer, faire des rapports, etc. Les gens ont de plus en plus d’appétence pour l’usage.

Qui sont les clients des fonds abrités?

Dans la philanthropie, il faut distinguer les donateurs «engagés mais discrets» des «grands mécènes» à notoriété importante. Au-dessous de 10 millions de dons, on peut se poser la question de l’intérêt d’avoir sa propre fondation. Parmi ces «engagés discrets», il y a des profils très divers. Cela va de l’expatrié qui veut organiser une tranche de vie en Suisse aux entrepreneurs qui n’ont pas de temps à consacrer à la cause qu’ils souhaitent soutenir. Il y a aussi les «sans famille ni héritiers», des gens qui ne veulent pas nécessairement confier à d’autres leur philanthropie au moment de leur décès et trouvent avec le fonds abrité une solution simple qu’ils peuvent tester de leur vivant.

Quels sont les thèmes qui reçoivent le plus de fonds?

Nous avons des thèmes très pluriels avec les mécènes qui ont des fonds abrités ou des donations transfrontalières: cela va de leur ancienne université à la recherche médicale, car ils ont perdu quelqu’un par exemple, à la constitution d’un patrimoine culturel. Nous avons accueilli historiquement des fonds orientés sur des thèmes tels que l’éducation, l’enfance et la jeunesse. Aujourd’hui, tout ce qui touche à l’environnement a le vent en poupe et nous allons créer un fonds autour de ce thème à partir d’un legs.

Comment cela se structure-t-il?

C’est comme une commode à plusieurs tiroirs. Le meuble représente la fondation abritante et chacun des donateurs peut garder un tiroir à son nom. Cela permet d’avoir le bénéfice du tout mais de faire des donations chacun de son côté, selon ses préférences. Notre équipe a la responsabilité de vérifier la bonne administration et que l’intérêt général est respecté.