Alors que le Conseil fédéral fait des déclarations quasi quotidiennes et doit prendre des mesures extraordinaires pour protéger au mieux la population et l’économie, les fonds de placement disposent, quant à eux, de tout un arsenal légal en place pour protéger les porteurs de parts. Les précédentes crises financières ont conduit l’industrie à prévoir les conditions lors de cas particuliers, et elle n’est pas obligée de prendre des mesures extraordinaires dans l’urgence. Elle applique les conditions et termes des contrats de fonds (prospectus).

«Je suis étonné que les fonds d’investissement tiennent alors que les marchés dégringolent actuellement», lance Jean-Sébastien Lassonde, associé et responsable de la gestion des actifs chez PwC Suisse, au détour d’une phrase. En effet, face à la pandémie du Covid-19, les marchés financiers n’ont pas été épargnés.

Pourtant, les fonds résistent. En février, le montant des avoirs confiés par les investisseurs à l’industrie suisse des fonds s’élève à un peu plus de 1210 milliards de francs, un montant en baisse de 3,2% par rapport au mois précédent. «En raison de l’incertitude sur les marchés financiers causée par la crise du coronavirus, toutes les bourses importantes ont enregistré un résultat négatif au cours du mois sous revue, le volume du marché suisse des fonds diminuant en conséquence», indique un communiqué de Markus Fuchs, directeur de la Swiss Funds & Asset Management Association (Sfama).

«La situation semble actuellement sous contrôle», selon Jean-Sébastien Lassonde. «Je ne connais pas de direction de fonds qui a interrompu les rachats de parts. Jusqu’ici, elles ont tenu leurs responsabilités envers les investisseurs. Personne ne veut être le premier à suspendre un fonds. Cela entraînerait une perte de confiance.»

Un équilibre savant pour une équité pour tous les investisseurs

En pleine crise, la baisse de la valeur sous gestion peut inciter les investisseurs à récupérer leurs avoirs. «Les investisseurs sont souvent émotionnels et irrationnels, à chaque fois qu’il y a de fortes baisses, beaucoup d’entre eux se précipitent pour sortir», note Jean-Sébastien Lassonde. Or, même si «la direction de fonds peut déléguer les décisions de placement à un gérant de fonds tiers, elle continue à assumer sa responsabilité de direction envers l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, la Finma; cela vaut notamment s’agissant de la gestion de la liquidité du fonds», indique l’avocat Oren-Olivier Puder, associé chez Junod, Muhlstein, Lévy & Puder.

Un des devoirs des directions de fonds est de s’assurer que les porteurs de parts soient traités impartialement par le gérant de fonds. «Ce qui est primordial, surtout en période de crise, lorsque les acteurs deviennent émotionnels et les mouvements se retrouvent amplifiés, c’est de traiter équitablement celui qui veut acheter, celui qui veut conserver et celui qui veut vendre un fonds donné», détaille Christian Carron, CEO de Gérifonds. Cette équité est fragile lors de rachats massifs de parts. Le gérant peut souvent rembourser les premiers vendeurs de parts immédiatement via le cash et les actifs les plus liquides composant le fonds; ensuite il se peut (mais chaque fonds est différent) qu’il ne reste que des actifs les moins liquides.

Activation du «soft-close» et du «gate»

Les acteurs du secteur possèdent différents mécanismes qui permettent de traiter équitablement les porteurs de parts. Pour protéger les nouveaux investisseurs, il est possible d’effectuer le «soft-close» d’un fonds. Cela signifie que «pour protéger les nouveaux investisseurs, on ne les laisse pas entrer (acheter des parts) dans un fonds lorsqu’on sait que, potentiellement, on ne pourra plus les rembourser temporairement», explique Christian Carron.

Un autre mécanisme possible est l’activation du «gate». Il s’agit d’échelonner le remboursement des premiers vendeurs. Par exemple, si le gérant doit sortir 15% des actifs aujourd’hui, la direction de fonds doit s’assurer que les 85% restants sont encore conformes au contrat et que les porteurs de parts restants ne sont pas lésés, affirme Christian Carron. Si à ce moment le gérant ne vend que les actions les plus liquides, les porteurs des 85% de parts restantes se trouvent alors désavantagés. «Ce n’est pas normal que ceux qui restent dans le fonds prennent plus de risques ou investissent dans des actifs moins liquides. Si deux jours plus tard il y a une autre demande de remboursement, le gérant pourrait ne plus être en mesure de rembourser dans les délais légaux les porteurs de parts. Donc ce qui est possible, c’est de dire aux premiers que l’on ne remboursera que 10-15 ou 20% des rachats dans l’immédiat, puis le reste progressivement.»

«Lorsqu’une société de direction suspend un fonds, c’est pour éviter que les premiers qui se retirent sortent à de meilleures conditions que les autres, explique Jean-Sébastien Lassonde. Le seuil de suspension ne dépend d’aucune règle, mais des différents acteurs. Chacun a son approche, et chaque produit est analysé de manière unique.» Pour l’auditeur, «la plupart des sociétés de direction de fonds ont la même approche. Elles essaient d’agir dans l’intérêt des investisseurs, qui prime au-delà de toute chose.»

«Il ne serait guère praticable d’établir des standards normatifs fixant de manière universelle des barèmes de liquidité de type «one size fits all» dans l’industrie de fonds de placement. En effet, il existe une multitude de gérants avec des stratégies d’investissement différentes, et des catégories d’actifs et d’investisseurs qui varient. La gestion du risque de liquidité doit donc être établie dans un cadre prenant en compte ces critères spécifiques», indique Oren-Olivier Puder. La liquidité dépend des taux, de la classe d’actifs, du type d’investisseurs, tels que les institutionnels, les professionnels ou le retail. Pour ces derniers, il existe beaucoup plus de protections. Ils ne peuvent par exemple pas investir dans des produits fermés, où les investisseurs s’engagent sur un temps défini. Ces fonds sont réservés aux investisseurs professionnels.

Priorité aux mesures préventives

Pour Oren-Olivier Puder, «la priorité est donnée à la protection des investisseurs. Dans ce but, un catalogue de mesures, y compris préventives, est à la disposition de la direction de fonds et du gérant pour gérer la liquidité, lesquelles pourront être ancrées dans les documents contractuels constitutifs du fonds: détermination d’une fréquence de rachat adéquate, délais de résiliation, utilisation de lockups, de gates, possibilité de suspendre le rachat des parts, etc.» Parmi celles-ci, prévues dans le prospectus à la formation d’un fonds, se trouve la détermination des fréquences de rachat. «Le porteur de parts peut, selon le type de fonds de placement, demander le rachat à une fréquence qui varie: journalière, hebdomadaire, mensuelle ou autre. La décision sur la fréquence de rachat, de même que les autres mesures de gestion de la liquidité, est discutée et déterminée à l’avance entre le gérant et la direction du fonds», explique l’avocat. Le taux de liquidité maintenu dans le fonds ainsi que les possibilités d’activation du gate ou de suspension de rachat de parts sont aussi décidés à l’avance. «Lorsqu’on crée un fond, on essaie d’anticiper tous les cas de figure», témoigne le CEO de Gérifonds.

«La direction de fonds est tenue d’effectuer un certain nombre de contrôles, car elle assume la responsabilité des tâches qu’elle délègue», note Oren-Olivier Puder. «C’est à nous de voir si le gérant est capable de faire face à ces remboursements. On le contacte donc dès que le montant des demandes de rachat dépasse un certain seuil de la fortune du fonds. Il peut arriver qu’on doive décider, contre l’avis du gérant, de ne pas rembourser temporairement, dans l’intérêt de l’ensemble des investisseurs» – fort heureusement cela n’est jamais survenu chez Gérifonds –, conclut Christian Carron.

«En tout cas, il me paraît clair qu’en Suisse le secteur financier et celui de l’asset management sont, notamment depuis la crise financière de 2008, très attentifs à la question de la gestion de la liquidité et se sont préparés», ose l’avocat.

Sur le long terme, les fonds de placement demeurent la manière la plus efficace et la moins risquée pour des initiés comme, et surtout, pour des non-initiés, car des professionnels sont en charge. Etre investi en direct, tel que l’offrent beaucoup de plateformes, est source de stress et de solitude face à son désarroi. Il faut garder en mémoire que l’objectif personnel d’un gérant de fonds est d’être performant. Il ne le sera pas toujours, mais à titre personnel il fera tout pour l’être, car chaque gérant veut être le meilleur et, de facto, les porteurs de parts en bénéficieront.