Conjoncture
La recommandation du Département d’Etat américain de ne pas se rendre dans l’Hexagone durant l’Euro de football aggrave une tendance lourde à la baisse de visiteurs depuis les attentats du 13 novembre

Le chiffre est impossible à confirmer, tant les palaces parisiens veulent continuer à donner le change. N’empêche: selon une source haut placée du groupe Accor, les hôtels les plus prestigieux de la capitale française n’afficheraient, à une semaine de l’Euro de football, qu’un taux de remplissage de 30%. Une chute libre des réservations hôtelières de luxe à mettre en rapport avec la baisse préoccupante des arrivées de touristes étrangers, ininterrompue depuis les attentats du 13 novembre 2015. Lesquels avaient été suivis, logiquement, par une mauvaise saison hivernale.
A la mi-mars, le cabinet ForwardKeys avait annoncé une baisse d’environ 20% de la fréquentation touristique à Paris, même si cette dernière continue d’être la ville la plus visitée du monde avec 16 millions de touristes en 2015. Or la tendance persiste, voire s’aggrave, d’autant que les mouvements sociaux sèment l’inquiétude et que la météo printanière est particulièrement désastreuse sur l’Ile-de-France et le Val de Loire, où le niveau de pluie depuis le début de cette semaine équivaut à celui d’un mois et demi normal à pareille époque.
Météo catastrophique
Les images du château de Chambord entouré d’eau, et l’annonce d’une possible évacuation temporaire des collections des musées d’Orsay et du Louvre – envisagée au cas où la Seine continuerait de monter pour atteindre des niveaux records, saturant les stations de pompage – ont aussitôt été répercutées à l’étranger.
Ironie des circonstances, c’est au moment où les nuages et la pluie prenaient le contrôle du ciel parisien que la mairie de la capitale a relancé, lundi, sa campagne «Made in Paris», à base de photos ensoleillées et rieuses d’une ville ces jours-ci particulièrement grise et déprimée. La question climatique n’est toutefois pas le facteur clé. La mauvaise publicité pour la Ville Lumière, en particulier sur les réseaux sociaux, est surtout liée aux éruptions de violence et à la mauvaise perception qu’entraîne, au-delà des frontières, le maintien de l’état d’urgence, prorogé trois fois depuis le 13 novembre.
«Plusieurs responsables de tours opérateurs asiatiques nous ont notamment contactés après les images de la voiture de police incendiée par des casseurs le 18 mai près de la place de la République, en marge d’une manifestation, confirme un agent de voyages proche de l’Opéra Garnier. On n’imagine pas combien cette séquence a été visionnée en Chine, ou au Japon. Ces images, assorties de commentaires dramatiques, ont ravivé l’inquiétude d’une France devenue violente, où les grèves peuvent vite dégénérer. Une expérience que le public asiatique, pour l’essentiel composé de jeunes couples ou de retraités, n’a pas forcément envie de vivre.»
«Saison en péril»
A ces statistiques en berne sont venues s’ajouter deux mauvaises nouvelles ces jours-ci: les mots d’ordre de grève qui ont engendré une pénurie ponctuelle de carburant dans toute une partie nord-ouest du pays et des problèmes récurrents dans les transports, et la recommandation négative du Département d’Etat américain qui, il y a deux jours, a mis en garde ses ressortissants contre les risques d’attentats durant l’Eurofoot.
Selon cet avis, les dix stades dans lesquels se joueront les matches de la compétition, et surtout les fan-zones qui doivent voir le jour dans toutes les grandes villes – les principales, à Paris, se situeront sur le Champ-de-Mars et devant l’Hôtel de Ville – sont des cibles potentielles. L’avertissement vaut aussi pour le Tour de France cycliste. «La saison touristique est en péril», vient d’affirmer le Groupement national des hôteliers indépendants dans un communiqué.
L’Hexagone, où le secteur touristique représente 2 millions d’emplois et 7% du produit intérieur brut, a pourtant de grandes ambitions. Remis au cœur de l’action diplomatique par l’ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius – aujourd’hui président du Conseil constitutionnel – qui avait insisté pour avoir auprès de lui un secrétaire d’Etat chargé à la fois du commerce extérieur et du tourisme (le socialiste Matthias Fekl), la promotion de la France comme première destination mondiale depuis les années 1980 (mais troisième en termes de recettes) semblait bien se porter.
En 2015, un plan d’action doté de 1 milliard d’euros (environ 1,10 milliard de francs) a d’ailleurs été dévoilé, fixant pour objectif au pays d’accueillir 100 millions de visiteurs en 2020, alors que ce chiffre avait stagné autour de 85 millions en 2013 et 2014, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Aujourd’hui, tout semble à refaire.