Immobilier, rachat de deuxième pilier, investissement dans le troisième, AVS 21… Les questions des internautes sont tombées sans discontinuer jeudi 17 novembre lors d’un live chat sur le site du Temps, proposé par la BCV. Francis Bouvier, responsable du département de prévoyance professionnelle à la Banque cantonale vaudoise depuis 2020, y a répondu sans esquives durant près d’une heure.

Lire aussi une précédente interview de Francis Bouvier (07.02.2022)

Le Temps: Une première question qui a trait au titre de cette conférence – «Combien vais-je toucher à ma retraite?»… Est-il simplement possible de savoir avec exactitude le montant que l’on aura à sa retraite?

Francis Bouvier: Les personnes de 55-60 ans commencent tout de même à avoir un bon aperçu du capital qu’elles vont toucher à la retraite. Pour les personnes de moins de 40 ans, c’est par contre en effet beaucoup plus difficile d’avoir un chiffre exact.

A partir de quel âge faut-il s’intéresser aux questions de prévoyance?

A tous les âges, mais avec des approches différentes. Un jeune père de famille de 30-35 ans s’y intéressera en disant «comment ma famille ou mes enfants vont s’en sortir si je ne suis plus là?». Puis, plus les années passent, plus l’attention se porte sur le montant de la rente. C’est une évolution.

L’internaute qui se fait appeler Unilopode brasse large. Il demande: «Qu’en est-il des jeunes qui viennent de finir leurs études? Quid s’ils ont fait l’armée ou une année sabbatique à l’étranger? Comment être sûr de ne pas avoir loupé des années de cotisations? Comment bien épargner pour être sûr de ne pas être à la rue à la retraite? Un montant idéal par mois à épargner? Compte épargne, action, bitcoin, pilier 3a? Est-ce qu’il y a des solutions pour ne pas se faire plumer, p.ex. en cas de krach boursier? Comment faire pour que les solutions de retraite ne soient pas délétères pour l’environnement et les gens?»… Quels sont les conseils généraux que vous donneriez à cet internaute?

Oui, il n’est pas le seul à être perdu, tant notre système de prévoyance est complexe. Mais il faut comprendre son fonctionnement. D’abord, le plus important, c’est bien sûr de trouver un travail après son éventuel congé sabbatique. Ensuite, il peut avoir une petite ou une importante capacité d’épargne, mais la question qu’il doit se poser alors, c’est: «Faut-il rattraper le retard de prévoyance accumulé pendant mon voyage?» Après encore, s’il a un peu d’aisance matérielle, il se demandera s’il doit ouvrir un troisième pilier pour profiter de la déduction fiscale. Ce sont les trois étapes par lesquelles il faudrait passer.

Sur les questions de retraites, retrouvez également notre sondage exclusif publié fin août.

Deux internautes (NYM et Acrs) se demandent quel sera l’impact de la récente votation AVS 21 sur leurs retraites. L’une d’elles écrit: «La date de ma retraite est encore à ce jour le 1er septembre 2025, à 64 ans. Avec la récente votation, si la mesure entre en force avant le 1er septembre 2025, devrais-je travailler une année de plus pour avoir une retraite pleine?»

Premier élément de réponse: la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi n’a pas encore été fixée. On suppose que ce sera le 1er janvier 2024, ce pourrait être 2025. Une fois que la réforme sera entrée en vigueur, la date de retraite sera calculée avec un décalage de trois mois en trois mois sur un an pour l’entrée en vigueur. En clair, si je fais un calcul rapide, cette internaute née en 1961 va partir à la retraite à 64 ans et trois mois. Pour ces personnes, il y aura un supplément de rentes qui sera organisé.

Jeanne nous écrit: «J’ai travaillé en France jusqu’à 50 ans, puis en Suisse ensuite. Comment les calculs vont être opérés?»

Cette personne va avoir une part de retraite française et une part de retraite suisse (AVS et deuxième pilier). Les globe-trotters qui ont travaillé dans plusieurs pays toucheront une retraite de chaque pays proportionnellement au temps qu’ils ont passé dans le pays.

VAT demande comment dialogue la Suisse avec ses voisins sur les questions de retraite?

Assez mal, à vrai dire. Il n’y a pas de centralisation… Les personnes doivent faire les démarches individuellement. Chacune et chacun doit faire son travail et s’enquérir des conditions de sa retraite. De manière générale, je rappelle que l’assuré doit aussi être un acteur de sa propre prévoyance. A lui ou à elle de se décider ou non pour un troisième pilier, de faire le choix d’épargner plus ou moins…

Pedro se demande si cela a du sens de retirer ses troisièmes piliers (il en a quatre pour une valeur totale de 120 000 francs) pour racheter du deuxième pilier?

Ramener ses troisièmes piliers dans le deuxième me semble être, là, une fausse bonne idée, d’autant que l’opération sera neutre fiscalement. La déduction ayant déjà eu lieu lors des versements dans les troisièmes piliers, il n’est pas possible de bénéficier d’une déduction lors du rachat de deuxième. Je pense que ce serait bien de maintenir la situation actuelle. D’un point de vue fiscal, elle permet de sortir les troisièmes piliers à des années fiscales différences, ce qui est plus intéressant (mais cela dépend encore des cantons). N’oubliez cependant pas que le fisc se réserve le droit de regarder ces sorties sous l’angle de l’évasion fiscale.

Estelle, 37 ans, qui travaille à temps partiel depuis huit ans, a eu deux congés maternité. Elle investit au maximum dans son troisième pilier. Elle se demande s’il est plus intéressant de racheter du deuxième pilier au vu de son mode de travail et de ses absences maternité?

Oui, cette situation est visiblement favorable pour racheter du deuxième pilier. Selon ce qu’elle décrit, elle ne doit pas avoir une caisse de pension pleine. Elle va arriver à la retraite avec un manque de cotisation. Donc, charger un troisième pilier, c’est très bien mais il vaut aussi le coup de se renseigner sur un rachat de deuxième pilier afin de le compléter régulièrement pour compenser le manque et arriver ainsi à un deuxième pilier complet à la retraite.

Quels sont les avantages et les inconvénients du rachat de deuxième pilier?

Je dirais d’abord que le terme «rachat» est mal choisi. Je préfère «versement volontaire». Plus loin, ce versement a deux avantages majeurs: il renfloue sa prévoyance et augmente sa rente de retraite, il présente également un intérêt fiscal, car chaque franc peut être déduit de son revenu. Le bémol, c’est qu’il faut garder suffisamment d’argent pour pouvoir vivre au quotidien car cet argent, versé sur votre deuxième pilier, vous aurez de la peine à le ressortir ensuite par exemple pour un achat immobilier. Il faut partir du principe que l’argent des versements volontaires est de l’argent dont vous n’aurez pas besoin.

Beaucoup de personnes, comme JK, posent la question de l’immobilier. Est-ce un bon investissement pour notre deuxième pilier?

C’est une question usuelle. On peut retirer le deuxième pilier pour son propre logement, ce qui constitue un transfert de prévoyance. Il ne faut cependant pas oublier que ce retrait va diminuer la rente de retraite le moment venu. Prendre temporairement cet argent pour acheter ou construire son bien immobilier, c’est parfait. Mais il ne faut pas oublier ensuite de rembourser, comme Estelle, des parts de deuxième pilier sur le long terme.

Il y a une tension entre le système de prévoyance suisse (très long terme, stabilité sur une évolution tout à fait linéaire) alors que notre monde est loin de suivre une grande ligne droite. Est-ce que notre système des trois piliers va tenir la route à très long terme?

Je vois le système des trois piliers comme un moteur à trois pistons. D’abord, l’AVS. Ensuite la prévoyance professionnelle. Enfin, le troisième pilier. Il y aura une évolution de la place de ces pistons dans le temps. Le troisième va prendre un peu plus de place, le premier un peu moins et le deuxième va conserver sa place au milieu. C’est un système qui continue de fonctionner même avec les évolutions démographiques ou sociétales. Certains pays le découvrent aujourd’hui, ce système de trois piliers, et s’y mettent.

Le deuxième pilier, qui est basé sur des emplois à 100% sans interruption durant toute la carrière, ne reflète plus très bien la façon dont on travaille en 2022. N’est-il pas le plus faible des trois pistons?

Les discussions en cours sur la révision de la prévoyance professionnelle permettront de corriger certains problèmes. Mais, vous savez, je ne suis pas surpris que le système de prévoyance, prévu pour fonctionner sur le très long terme, mette du temps à s’adapter à nos changements sociétaux.

Nos caisses de pension ont un énorme impact sur le climat. Est-ce qu’elles prennent la mesure du chantier, demande Bruno?

On en parle beaucoup. Le sujet est complexe car il n’y a pas de normes et il est très difficile de faire un reporting uniforme. Mais dans tous les conseils de fondation que je côtoie, c’est une thématique importante. Oui, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance sont pris au sérieux. Après, nous sommes dans le monde de la prévoyance où tout bouge plus lentement. Mais on s’est mis au travail.

Pour conclure… On sent dans les questions de nos internautes une certaine fébrilité, voire des craintes. Vous, qui passez vos journées dans ce système de prévoyance, est-ce que vous avez confiance en lui?

Oui, j’ai confiance. Je suis dans la branche et je constate de l’intérieur qu’il est très solide. Une partie de la population s’inquiète pour tel ou tel pilier, certes, mais, on l’a dit et répété, beaucoup ne s’y intéressent pas du tout. Ce qui est, en fin de compte, une marque de grande confiance, non?