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GameStop, la finance en mode révolutionnaire

Objet d’un bras de fer entre une armée de boursicoteurs et de grands hedge funds, l’action de ce vendeur de jeux vidéo américain est l’attraction des marchés financiers depuis le début de l’année. Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle finance?

La semaine dernière s’est conclue sur la pire performance des marchés américains depuis octobre. — © Tayfun Coskun/Anadolu Agency via Getty Images
La semaine dernière s’est conclue sur la pire performance des marchés américains depuis octobre. — © Tayfun Coskun/Anadolu Agency via Getty Images

«Les David en pyjama contre les Goliath en cravate!» Ou encore: «La révolution française de la finance!» La planète finance ne parle que de GameStop depuis deux semaines, cette société américaine de jeux vidéo qui fait l’objet d’un bras de fer entre des fonds spéculatifs et des milliers ou des millions de boursicoteurs, sans fortune ni connaissances particulières. Car, pour la première fois, les seconds semblent l’emporter et jubilent à l’idée de terrasser des puissants. Au point qu’on se demande s’ils représentent une nouvelle force dans la finance mondiale.

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Décrits comme désœuvrés et accros aux réseaux sociaux, ces boursicoteurs ont porté l’action GameStop de moins de 18 dollars à plus de 480 dollars depuis le début de l’année. Des hedge funds ayant parié sur sa baisse ont perdu des milliards dans l’affaire. Le tout autour d’une entreprise déficitaire, peu présente dans le commerce en ligne et dépendante des ventes dans des centres commerciaux désertés pour cause de pandémie.

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Qui sont ces petits investisseurs?

«On retrouve une mentalité de joueurs chez ces petits investisseurs, qui peuvent acheter une action d’une simple touche sur un smartphone ou une montre connectée, après avoir lu un message sur un site spécialisé comme Reddit», résume John Plassard, de la banque Mirabaud. Le spécialiste des marchés qualifie ces petits porteurs de «nouveaux activistes, qui peuvent influencer l’avenir d’une entreprise comme le font de grands actionnaires depuis des décennies et de manière tout à fait tolérée».

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Pour lui, «l’épisode GameStop constitue un cri du cœur et un cri du portefeuille de millions de gens; ce phénomène ne doit pas être minimisé, il se situe peut-être dans la lignée des révoltes anti-establishment observées aux Etats-Unis». Le carburant de ces activistes 2.0? Un surplus de temps libre et de revenu disponible. Aux Etats-Unis, les allocations chômage et chèques du gouvernement ont plus que compensé la baisse des revenus du travail l’an dernier, au point que le revenu personnel disponible des Américains a progressé de plus de 1000 milliards de dollars sur la période de mars à novembre 2020 par rapport à 2019, selon le Bureau des analyses économiques américain. Autre facteur: l’émergence de plateformes de courtage en ligne permettant d’investir sans commission, comme Robinhood (plus de 11 millions d’utilisateurs).

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S’agit-il de manipulation?

«On parle de manipulation lorsqu’un signal est envoyé afin de faire baisser ou monter une action. L’opération est illégale, mais il est devenu très complexe de sanctionner sur la base d’un tweet ou d’une vidéo», estime encore John Plassard. Vendredi, Elon Musk a ajouté le symbole du bitcoin sur son profil Twitter et la cryptomonnaie a bondi de 14%. «Le patron de Tesla peut-il être soupçonné de manipulation?» s’interroge John Plassard. Pour être répréhensible, un conseil d’investissement doit être précis et ciblé envers une ou plusieurs personnes.

Toujours vendredi, un des boursicoteurs actifs sur Reddit s’est payé une publicité sur un énorme panneau électronique à Times Square, en plein New York, pour soutenir l’action GameStop. «On a plutôt l’impression que c’était un jeu pour lui», observe notre interlocuteur. Enfin, en l’absence de leader identifié dans l’armée de Reddit, il paraît politiquement délicat de sanctionner un petit porteur, du haut de ses 2000 ou 3000 dollars de capital.

Vers une contagion?

La semaine dernière s’est conclue sur la pire performance des marchés américains depuis octobre. Notamment parce que des hegde funds ont dû vendre des actions pour disposer de suffisamment de liquidités et tenir leurs paris contre GameStop. Les grands indices ont reculé de 3 à 5%, de nombreuses actions perdant 10% ou plus. Le début d’une correction provoquée par la saga GameStop?

Nicolas Roth, de la banque Reyl, n’y croit pas: «Plusieurs fonds vont certainement devoir vendre des positions, mais ce processus a en grande partie eu lieu la semaine dernière et s’est ralenti dans la journée de vendredi, selon des données de Morgan Stanley et Goldman Sachs. En outre, les très grands fonds alternatifs ont été touchés de manière tout à fait modérée par cette histoire.»

Les aficionados de GameStop ont jeté une partie de leur dévolu sur d’autres actions, comme Nokia, BlackBerry ou AMC, devenues elles aussi explosives. Mais cette contagion «a essentiellement concerné d’autres entreprises qui ont des caractéristiques en commun avec GameStop: leurs produits visent le consommateur final, elles sont moins orientées nouvelle économie, sont plutôt de taille réduite à la bourse, relativise Cédric Dingens, responsable de la gestion alternative chez Notz & Stucki à Genève. Ces petits investisseurs individuels n’ont pas la capacité de faire bouger les cours de grandes entreprises valant plus de 10 milliards de dollars à la bourse, par exemple.»

Quelles conséquences?

Jeudi, le site de trading Robinhood a imposé des restrictions sur les achats de l’action GameStop, tout en autorisant les ventes. Une décision vécue comme un soutien aux hedge funds et qui pourrait finir devant une commission d’enquête parlementaire à Washington. Mais plus que de générer des suites juridiques, l’épisode GameStop est plutôt «le signe que la finance doit s’adapter aux nouveaux comportements des individus, dont les contenus sur des sites dédiés ou sur YouTube donnent un coup de vieux aux professionnels», conclut John Plassard, de Mirabaud.