Le mardi 25 août pourrait devenir une date historique. Ce jour-là, un message est envoyé aux 500 livreurs utilisant l’application Uber Eats à Genève. On peut y lire que, à partir du 1er septembre, «vous devrez être salarié de l’un de nos partenaires» pour effectuer des livraisons et que «les livreurs exerçant leur activité en tant qu’indépendants n’auront plus accès à l’application».

Oui, vous avez bien lu. Les cyclistes ou autres scootéristes qui sillonnent les rues de la cité avec des sacs à dos cubiques noirs et vert fluo sont depuis ce mardi des employés. Et non plus ces indépendants au statut précaire qui utilisent une application quand bon leur semble. La multinationale s’est gardée de communiquer la nouvelle, qui semble remettre en cause localement son modèle d’affaires. Mais le syndicat Unia et les livreurs s’en sont chargés.

«Changement radical»

«C’est un changement radical pour la plateforme leader du marché au niveau international», souligne Unia dans un communiqué mardi. «Une belle rentrée cette année, avec une décision qu’on attendait depuis longtemps. C’est historique, c’est la première fois qu’Uber considère les livreurs comme des salariés», se félicite le secrétaire syndical Umberto Bandiera. «Une satisfaction pour notre Etat de droit», disait la veille le ministre Mauro Poggia à la RTS.

Concrètement, les livreurs sont invités à s’inscrire auprès d’une entreprise, Chaskis, inscrite au Registre du commerce genevois le 25 août. Nous ignorons à qui appartient cette entreprise. Les livreurs peuvent indiquer leurs souhaits en termes de taux d’activité et d’horaires. Ils recevront dès ce mois un salaire, seront soumis à des cotisations et ils auront droit au chômage. Des acquis difficilement gagnés au XXe siècle qui sont remis en cause par l'«ubérisation» un peu partout dans le monde.

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A Genève, tout a commencé en juin 2019, quand le canton a sommé Uber Eats (un service de livraison de repas d’Uber) et à ses concurrents (comme Eat.ch), de «respecter la loi» en faisant des livreurs indépendants des salariés. La concurrence s’y plie tandis qu’Uber fait recours. En juin 2020, la firme perd une manche auprès de la justice genevoise, elle fait recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), à Lucerne, qui devra trancher l’an prochain.

Uber procède tout de même au changement demandé, car le TAF ne lui aurait pas accordé d’effet suspensif. Autrement dit, le groupe adapte son modèle pour continuer d’opérer dans le canton.

Réactions mitigées

«Comme pour toute forme de travail traditionnel, la flexibilité et la liberté des travailleurs qui en ont besoin diminueront de manière significative. Nous espérons un avenir du travail où la flexibilité et la protection sociale ne devront pas s’exclure mutuellement comme c’est le cas aujourd’hui», indique un porte-parole d’Uber. A Berne, deux motions à ce sujet doivent être traitées cette semaine au parlement.

Sur les groupes WhatsApp des livreurs, les réactions sont mitigées. Certains saluent la nouvelle mais d’autres regrettent déjà leur liberté d’antan. D’aucuns disent ne plus pouvoir travailler de nuit, ou le week-end, ce qui les pénalise. Des demandes d'autorisation pour opérer le soir, le samedi et le dimanche sont en cours, selon le service de presse d'Uber. Le salaire des livreurs est établi en fonction d’une convention collective de travail qui ne satisfait guère Unia. Les livreurs sont payés 20,65 francs par heure et ils ont droit à cinq semaines de vacances par an. Unia dit espérer que les autres cantons s’inspireront des actions genevoises dans leur encadrement d’Uber.