Le Ghana se met en situation de faillite
Conjoncture
AbonnéL’explosion des dépenses liées à la lutte contre le covid, l’appréciation du dollar et la hausse des prix des vivres et de l’énergie ont vidé les caisses de ce pays d’Afrique de l’Ouest autrefois exemplaire

Les créanciers privés du Ghana, banques et assurances occidentales en premier, sont sur le qui-vive. Ils pourraient être appelés à sacrifier 30% de la valeur nominale de leurs titres dans le cadre d’une restructuration de la dette souveraine de ce pays d’Afrique de l’Ouest. En effet, Accra a annoncé lundi la suspension du paiement des échéances sur une partie de ses créances, dont les obligations libellées en euros et des prêts commerciaux.
En septembre 2022, la dette publique, 82% du produit intérieur brut, s’élevait à 60 milliards de dollars, dont 42% étaient contractés à l’intérieur. Le pays a émis des obligations à hauteur de 13 milliards, qui sont détenues par les grands fonds d’investissement internationaux dont BlackRock, Vontobel, AllianceBernstein, Neuberger Berman et Pimco. A la fin de 2021, le montant de la dette bilatérale (Etat à Etat) s’élevait à 3,2 milliards, et la dette multilatérale (institutions) à 4,6 milliards, selon la Banque mondiale.
Une inflation de 47% en octobre
Les autorités ont apparemment obtenu le feu vert à la restructuration de la dette de la part du Fonds monétaire international (FMI), qui leur a accordé un prêt de 3 milliards de dollars la semaine passée. Cette somme servira avant tout à rembourser les créanciers. Selon l’agence de notation Fitch Ratings, Accra devra consacrer 2,8 milliards de dollars uniquement pour les intérêts en 2023, contre 2,7 milliards cette année.
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Comment le Ghana en est-il arrivé là? Les dépenses inattendues – encourues pour faire face à la pandémie du nouveau coronavirus, puis la guerre en Ukraine qui a fait exploser les prix des vivres et de l’énergie – ont plongé ce pays de 32 millions d’habitants dans une profonde crise économique qui couve depuis de longs mois. L’inflation a atteint un sommet historique de +47% sur l’année en octobre. La monnaie locale – le cedi – s’est effondrée de 50% face au dollar. L’appréciation de la monnaie américaine a non seulement renchéri la facture des importations, elle a aussi fait augmenter le coût du service de la dette, celui-ci avale désormais entre 50 et 70% des revenus de l’Etat.
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Ironie du sort, l’économie ghanéenne s’est montrée plutôt robuste ces dernières années. Le président Nana Akufo-Addo était allé jusqu’à promettre une économie nationale forte et «sans aide étrangère» il y a deux ans. Le Ghana a atteint le statut de pays à revenu intermédiaire en 2010, même si de larges pans de sa population en croissance rapide demeurent vulnérables. Les inégalités se creusent. Accra, la dynamique capitale qui n’arrête pas de s’étendre, est clairement divisée en deux zones, la première huppée avec d’énormes centres commerciaux, des routes bien entretenues et des quartiers résidentiels calmes aux immeubles impeccables. Puis, il y a les quartiers populaires où des centaines de milliers de personnes s’entassent et se débrouillent dans le secteur informel. Le revenu annuel moyen par habitant est de 2500 dollars.
Grève nationale à partir de mardi
Parallèlement à la suspension du remboursement aux créanciers étrangers décidée lundi, les autorités ghanéennes ont mis en place un Programme d’échange de la dette intérieure contracté auprès des fonds et caisses de pension du pays. Ainsi les titres arrivant à maturité au 31 décembre 2022 seront remplacés par des coupons qui seraient payables en 2027, 2029, 2032 et 2039. En guise de protestation, les syndicats ont appelé à une grève nationale à durée indéterminée à partir du 27 décembre, selon la presse ghanéenne de mardi.
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«Nos ressources financières, y compris les réserves internationales de la Banque du Ghana, sont limitées et doivent être préservées à ce moment critique», a souligné lundi le ministre des Finances Ken Ofori-Atta. Mais pour l’économiste ghanéen Daniel Anim Amarteye, cité par l’AFP, cette suspension pourrait éroder davantage la confiance des investisseurs. «Cela pourrait affecter notre crédibilité aux yeux de la communauté des investisseurs au niveau mondial et notre capacité à aller sur le marché obligataire, a-t-il déclaré. Cette décision conduira à une nouvelle dégradation de la note par les organismes internationaux de notation.»
En réalité, les trois grandes agences internationales ont toutes déjà dégradé la notation de la dette du Ghana, signe de l’inquiétude des investisseurs quant à son potentiel défaut de paiement. Moody’s avait dès cet été prévenu que le pays était en état de cessation de paiements.
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Qui dit prêt du FMI dit programme d’austérité. Les syndicats craignent déjà le pire pour une population qui est déjà confrontée à l’explosion des prix. Le Ghana se met ainsi dans la même situation d’instabilité politique, économique et sociale que de nombreux autres pays dont le Sri Lanka, le Pakistan, l’Ethiopie ou encore l’Equateur. Il est pourtant l’un des principaux producteurs mondiaux de cacao et d’or, et est doté de réserves de pétrole et de gaz.