Au début des années 1970, les banques suisses sont absentes de la scène mondiale. En Suisse, le Crédit Suisse (CS) cède du terrain. Trop conservateur. C'est alors qu'éclate le scandale de Chiasso.
L'acteur clé, Ernst Kuhrmeier, directeur adjoint de la filiale tessinoise, utilisera l'argent des clients à travers «une banque dans sa banque». En avril 1961, il crée Texon au Liechtenstein pour mener ses affaires hors-bilan. Avec l'aide d'autres employés de Chiasso, il attirera une clientèle essentiellement italienne. Les premiers revers se produisent au milieu des années 1970 lorsqu'un crédit ne peut être remboursé. Texon effectuera ses investissements dans le tourisme (Albarella), le vin (Winefood) ou les jouets (Ampaglas).
Réaction tardive de la direction
Longtemps les affaires sont si florissantes que le siège zurichois de la banque ne réagit pas. En 1968, une irrégularité sur l'impôt anticipé à Chiasso est découverte par l'administration fiscale. Mais ce n'est qu'en 1969 que le CS discutera de l'affaire avec Kuhrmeier. La discussion porte sur des plaintes d'un directeur général de UBS, selon lequel le CS contournerait la convention sur les taux. Une visite tessinoise d'un dirigeant témoigne du mécontentement d'autres instituts tessinois sur les méthodes peu catholiques de Kuhrmeier. Mais sous l'impulsion de Texon, véritable banque dans la banque, la filiale de Chiasso poursuit son expansion. L'effectif augmente de moitié en deux ans et Kuhrmeier est même nommé directeur principal, en janvier 1975. Pourtant, le mécontentement s'élargit. Les avertissements s'accumulent mais ne sont pas entendus. En janvier 1976, Heinz Wuffli, directeur général du CS, reçoit la visite de Philippe de Weck, son homologue d'UBS, qui l'avertit des pratiques de la filiale de Chiasso. UBS avertira aussi la présidence du conseil d'administration. Mais les sanctions se font attendre.
L'ascension de Rainer Gut
Il faudra que Robert Jeker, en mars 1977, apprenne le mécanisme pour que l'alarme générale soit déclenchée. Séance d'urgence, aveux de Kuhrmeier, démission le 13 avril. Le 14 avril le communiqué de presse est envoyé. Le trou est considérable: 2,2 milliards de francs. Kuhrmeier est condamné à 4 ans et demi de prison et décède peu après son procès.
Fritz Leutwiler, président de la BNS, promet un crédit relais de 3 milliards pour bien montrer que le CS ne risque rien. Mais la réputation de la banque est atteinte. C'est le début d'un changement d'époque et de culture. Exit des directeurs généraux toujours suisses, protestants, non universitaires. Rainer Gut, alors porte-parole de la direction, entre en scène, gère la crise, rajeunit et restructure la banque, puis la place sur une nouvelle voie, y compris dans la gestion du risque. Un concept alors inconnu. Pour la place suisse, le changement se traduit aussi par une autoréglementation nettement plus sévère. La surveillance change. Les banques comprennent qu'elles doivent connaître leurs clients et exiger la preuve de leur identité.
*Lire «Von der Schweizerischen Kreditanstalt zur Credit Suisse Group», Joseph Jung, NZZ Verlag, 2000.