Pendant cette année de nos 20 ans, «Le Temps» met l’accent sur sept causes emblématiques. La cinquième porte sur «l’économie inclusive». Celle-ci vise à mieux tenir des enjeux écologiques, éthiques et égalitaires.

Nous souhaitons vous faire découvrir des idées, des modèles et des personnalités qui, chacun à leur manière, développent une économie et une finance plus intelligentes, qui contribuent à mieux répartir ce qu'elles génèrent entre toutes les parties concernées.

Oui, mais. Ces deux mots résument à eux seuls les soupçons qu’éveillent les entreprises quand elles parlent de développement durable. L’une améliore sa consommation énergétique, une autre mise sur le recyclage, ou celle-ci s’approvisionne selon des critères équitables. Sans oublier les volumineux et coûteux rapports sur la durabilité que les multinationales publient chaque année, dans lesquels elles vantent leur engagement environnemental et social.

Oui, mais. Comment s’assurer que tout cela n’est pas du simple enrobage vert, visant à apparaître éco-responsable ou socio-responsable aux yeux du grand public? Le rapport de durabilité de Glencore avait justement suscité la controverse en 2011, les ONG dénonçant un rapport «risible», alors que le géant zougois se retrouve régulièrement au cœur de scandales pour ses activités dans les mines.

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A l’heure d’ouvrir un chapitre sur l’économie inclusive, Le Temps a voulu faire le point sur ce procédé aussi varié que complexe que l’on nomme «greenwashing».

Le greenwashing, c’est quoi?

Ce terme anglais vient de la contraction de green, «vert», et de washing, «nettoyage», que l’on pourrait traduire par «écoblanchiment». C’est une stratégie de marketing qui consiste à communiquer en utilisant l’argument écologique, pour se donner une image éco-responsable. S’il se résume parfois à l’utilisation d’emballages verts pour faire allusion à la nature, par exemple, le greenwashing a pris des formes plus subtiles, à mesure qu’autorités et consommateurs sont devenus plus regardants.

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Aujourd’hui, les initiatives des entreprises en faveur de l’environnement doivent produire des résultats palpables. Mais elles peuvent à leur tour être utilisées à des fins de greenwashing.

Distinguer le bon grain…

Dans ce contexte, comment s’assurer qu’une société a entrepris une transition à long terme? «C’est le cas si les mesures prises partent du cœur de métier de l’entreprise», souligne Daniel Wiener, cofondateur et président d’Ecos, une société de conseil en développement durable. Autre bon indicateur pour mesurer le degré d’intégration de ces mesures: «l’implication dans la démarche de collaborateurs à tous les niveaux de la chaîne de valeur», selon Cécile Rivière, en charge des questions de concurrence et de réglementation auprès d’economiesuisse.

Par exemple? «De grands assureurs suisses, Swiss Re et Zurich, ont décidé de renoncer à des investissements liés à l’industrie du charbon et acceptent de moins en moins de souscriptions d’assurance de projets liés à cette énergie», indique Mathias Schlegel, porte-parole de Greenpeace.

…de l’ivraie.

Qu’est-ce qui, à l’inverse, doit éveiller la méfiance? «Quand les efforts faits par l’entreprise ne concernent qu’un petit segment de l’activité», poursuit Daniel Wiener. Parmi les cas typiques, l’expert pointe les grands groupes énergétiques, Alpiq, Axpo, BKW et Repower, qui investissent et communiquent surtout sur le renouvelable. «Alors que dans le même temps, leurs émissions de CO2 ont augmenté d’un cinquième l’an dernier», relève-t-il, citant une étude publiée fin juillet par la Fondation suisse de l’énergie.

D’autres cas ont fait davantage de bruit, notamment l’affaire des plastiques Nestlé. Quand en avril la multinationale veveysanne a annoncé passer à 100% de plastique renouvelable dans ses emballages d’ici à 2025, Greenpeace a crié au greenwashing. «Ce qui pose problème, c’est le fait de mettre en circulation du plastique, quelle que soit la matière première utilisée pour le fabriquer», justifie Mathias Schlegel.

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Depuis, «Nestlé s’est engagé à réduire la quantité et la complexité des emballages», souligne Yann Wyss, en charge des questions environnementales et sociales au sein du géant agroalimentaire. Aux reproches qui lui sont adressés sur l’absence d’une feuille de route claire, Yann Wyss rappelle «la complexité pour un grand groupe que représente la nécessité de trouver des solutions globales, qui soient ensuite applicables au niveau local». Mais il balaie les accusations de greenwashing: «Derrière chaque engagement, il y a une réalité.» Réduire la quantité de plastique est «un processus qui demande de la recherche, pour nous assurer qu’on ne le substitue pas par une matière plus nocive encore, par exemple.»

Faut-il légiférer?

A cette question, la Confédération souligne d’emblée la difficulté liée à la nature protéiforme du greenwashing. Son rôle dans la transition vers une économie plus durable? «Facilitateur de dialogue», répond Rolf Gurtner, chef de la section économie à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). «Nous intervenons lorsque les entreprises s’adressent à nous», ajoute-t-il. C’est sur cette base volontaire, d’autorégulation, que repose d’ailleurs la stratégie actuelle en matière de responsabilité sociale des entreprises.

Pour Mathias Schlegel, de Greenpeace, il faut une plus forte implication des autorités: la mise en place d’un cadre législatif strict, exigeant des entreprises qu’elles doublent leurs initiatives d’objectifs concrets, selon un agenda clair. Daniel Wiener appelle de son côté à une mobilisation populaire. Il se réfère à l’initiative pour des multinationales responsables, visant à inscrire dans la Constitution un devoir de diligence en matière de droits de l’homme et de normes environnementales. De facto, avec un cadre, les entreprises ne pourraient plus se contenter de l’effet d’annonce.

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La responsabilité du citoyen

Tout serait donc en mains du peuple? «C’est une évidence», souligne le patron d’Ecos. Le peuple en tant que citoyen, mais aussi en tant que consommateur, indique Mathias Schlegel. Sa part du travail, c’est d’une part de s’informer: «Le greenwashing, c’est avant tout une technique de communication. Si le public n’est pas dupe, le greenwashing se retrouve vidé de sa substance», poursuit-il. Charge au client aussi de réfléchir à sa manière de faire ses achats. «Le marché s’oriente vers les désirs du consommateur», insiste Daniel Wiener.

Une pointe d’optimisme se dégage cependant du constat que partagent tous les intervenants: les entreprises ont dépassé le stade de la prise de conscience. «Il y a des attentes de la part des autorités et du public, mais aussi des investisseurs», assure Cécile Rivière. Selon elle, les sociétés voient le potentiel de la durabilité, «que ce soit pour récolter du financement, gagner de nouveaux marchés ou attirer des talents». «Nous sommes entrés dans une nouvelle ère», conclut Daniel Wiener.


La voie populaire

Parmi les pistes évoquées pour faire reculer le greenwashing figure celle de la mise en place d’un cadre réglementaire. Sa forme la plus stricte est énoncée dans le texte de l’initiative populaire pour des multinationales responsables. Celle-ci veut obliger les sociétés qui ont leur siège en Suisse à surveiller les conséquences de leurs activités sur les droits de l’homme et l’environnement et prendre les mesures pour garantir leur respect. Y compris à l’étranger. En cas de violation, elles devraient répondre des dommages causés devant la justice suisse. Même si ces dommages sont le fait de sous-traitants basés à l’étranger.

Face à la levée de boucliers des partisans de la flexibilité du système suisse, qui mise sur l’autorégulation, le compromis prend la forme d’un contre-projet. Dans cette version allégée, la responsabilité ne porterait que sur les dommages à la vie et à l’intégrité personnelle, notamment. Par ailleurs, les entreprises ne répondraient d’aucun dommage si elles apportent la preuve qu’elles ont pris les mesures prévues par la loi pour l’empêcher ou qu’elles ne pouvaient pas influencer l’entreprise contrôlée. Si ce contre-projet passe la rampe du Conseil des Etats cet automne, les initiants prévoient de retirer leur texte.

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