Il n’est pas aussi connu que les riches mécènes libéraux que sont George Soros ou Tom Steyer. Et son activisme politique à lui se déploie à travers une chaîne opaque d’organisations qui permet de masquer les liens entre son argent et ses bénéficiaires finaux.

C’est ainsi que débute la longue enquête du New York Times, publiée lundi, et qui lève le voile sur le cercle d’influence que s’est constitué Hansjörg Wyss pour soutenir le Parti démocrate aux Etats-Unis.

Ici, en Suisse, tout le monde connaît le milliardaire bernois, désormais résident du Wyoming, et qui n’a jamais caché son attachement aux Etats-Unis, et en particulier pour ses parcs nationaux. Hansjörg Wyss a, en trente-cinq ans, changé le statut de la medtech Synthes, en la faisant passer d’une PME à une multinationale aux plus de 10 000 employés. Elle sera rachetée par Johnson & Johnson en 2012, pour 21 milliards de dollars. Sa fortune personnelle est, elle, estimée à 6 milliards de francs.

Des fonds directs et indirects

Le quotidien new-yorkais se base sur des documents fiscaux auxquels il a eu accès. Il en ressort que deux des organisations de Hansjörg Wyss, un fonds à but non lucratif et une fondation, ont donné 208 millions de dollars, entre 2016 et 2020, à trois autres fonds qui ont, ensuite, redistribué cet argent à des groupes d’influence. Leur objectif: soutenir les causes progressistes chères aux démocrates et ainsi contribuer à ce qu’ils remportent la Maison-Blanche et reprennent le contrôle du Congrès.

Mais les soutiens ne se sont pas limités à ces trois entités. D’autres dons, plus directs, ont également bénéficié à des groupes de premier plan, comme le Center for American Progress, Priorities USA, ou encore à d’autres organisations ayant mené des campagnes de mobilisation des électeurs pour augmenter la participation des démocrates. Plusieurs responsables des entités liées à Hansjörg Wyss auraient par ailleurs rejoint les rangs de l’équipe de campagne et/ou de l’administration.

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Son influence croissante dans la politique américaine a été particulièrement mise en lumière ce printemps, alors qu’il a tenté de racheter le groupe de médias Tribune Publishing, propriétaire, entre autres, du Chicago Tribune et du New York Daily News. Il a finalement retiré son offre mi-avril. Mais certains bénéficiaires de ses dons, sans que leur identité soit révélée, auraient aussi construit des canaux de communication servant qui à bloquer les nominations de Donald Trump, qui à prouver sa collusion avec la Russie, qui à encourager à sa destitution.

Les révélations du quotidien arrivent à un moment où la transparence des financements politiques fait débat aux Etats-Unis. Et ce sont précisément les démocrates qui s’en prennent à ces pratiques de l’ombre.

Politique anti-Trump

Avare en apparitions médiatiques, le milliardaire n’a pas fait exception cette fois-ci, refusant de réagir aux informations du New York Times. Le porte-parole de deux de ses organisations, la Wyss Foundation et le Berger Action Fund, a quant à lui réfuté l’idée selon laquelle ces dons étaient destinés à soutenir le Parti démocrate.

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Il a ajouté que Hansjörg Wyss se concentrait sur «des enjeux importants pour lui». Les causes environnementales et sociales ont orienté sa carrière de philanthrope, rappelle le New York Times, avant que certaines de ses donations ne s’acheminent vers des causes plus politiques – droit à l’avortement, revenu minimal, etc. – notamment après la nomination de Donald Trump à la présidence. L’un de ses combats s’était par exemple focalisé sur Bears Ears et ses célèbres buttes, classé monument national par Barack Obama et dont Trump s’était attaché à fortement réduire la surface protégée.

En 2015, Hansjörg Wyss avait donné une interview au Temps, à l’occasion de l’inauguration du Campus Biotech à Genève, dont il est l’un des principaux contributeurs. A cette occasion, il soulignait: «Je donne à travers mes fondations, c’est public. Mais mes dons à titre privé restent discrets.» Il rappelait aussi qu’il avait donné «entre 1 et 1,5 milliard de francs» au cours de son existence.

Il avait alors 80 ans. Hansjörg Wyss en a aujourd’hui 85. Et d’après le New York Times, il a désormais largement dépassé cette fourchette.