Heinz Karrer: «La Suisse a besoin des accords bilatéraux de libre-échange»
Commerce
Le président d’economiesuisse révèle que les contacts sont renoués entre Berne et l'administration Trump en vue d’un accord bilatéral et que les signaux sont positifs. Mais, pour l’heure, ce sont les négociations avec le Mercosur qui sont prioritaires

Lancé en 2001 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Cycle de Doha, dont le but est de poursuivre la libéralisation du commerce des marchandises et des services, est mort. Dès lors, les Etats multiplient les accords bilatéraux de libre-échange. La Suisse en a signé une trentaine, y compris avec de grandes puissances comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud, et a ouvert une dizaine de chantiers.
L’organisation patronale economiesuisse pousse la Confédération à continuer dans cette direction. Son président, Heinz Karrer, dresse un état des lieux des négociations en cours, au moment où celles avec le Mercosur deviennent, pour lui, une urgence. Il récuse toutefois l’accusation selon laquelle le patronat voudrait sacrifier l’agriculture suisse.
Le Temps: Pour economiesuisse, les accords de libre-échange (ALE) sont une nécessité, juste?
Heinz Karrer: Oui, nous en avons besoin pour accéder aux nouveaux marchés. C’est important parce que les exportations comptent pour 40% du produit intérieur brut (PIB) de la Suisse. L’accès aux marchés dépend certes des règles multilatérales établies par l’Organisation mondiale du commerce ou des accords plurilatéraux. Les ALE nous ouvrent de nouvelles portes.
Lire aussi: Les accords de libre-échange ont un impact limité
Quels sont les pays prioritaires pour la Suisse?
Les Etats-Unis sont notre première priorité compte tenu de leur potentiel. Après plusieurs années de blocage, les perspectives s’ouvrent. J’ai prévu prochainement une rencontre à ce sujet avec l’ambassadeur des Etats-Unis à Berne. Le Conseil fédéral est aussi en contact avec les autorités américaines. En réalité, la plupart des signaux sont positifs. Ensuite, il y a l’Inde. Les négociations sont pour leur part difficiles. New Delhi veut accorder une faible protection à la propriété intellectuelle, ce qui, pour nous, est inacceptable. La Suisse a aussi un grand intérêt à conclure un ALE avec l’Indonésie, un pays de 270 millions de consommateurs potentiels. Il y a toutefois deux obstacles: d'abord la faible protection de la propriété intellectuelle, mais les Indonésiens se montrent conciliants sur ce sujet; le gouvernement pourrait la régler avec un décret. Ensuite, ils veulent un accès libre pour leur huile de palme. C’est un sujet difficile pour nous, mais nous pourrions trouver une solution avec un système de certification.
L’autre gros morceau, c’est le Mercosur…
En effet. Tout indique que les quatre membres du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) sont favorables à un ALE avec la Suisse. Ils ont besoin d’investissements étrangers. Pour notre part, il y a urgence. L’Union européenne (UE) est sur le point de conclure un accord. Sans un accord Suisse-Mercosur, nos exportateurs seront discriminés par rapport à ceux de l’UE. Un prochain round de négociations est prévu en avril. Et le conseiller fédéral chargé de l’Economie prévoit de se rendre dans les quatre pays le mois prochain. Le Mercosur est un grand exportateur de viande de bœuf et demande un accès plus important à notre marché. Ils voudraient écouler quelque mille tonnes supplémentaires par rapport à leurs exportations actuelles. Nous devrions être en mesure d’absorber cela.
Et aussi: Mercosur: la Confédération doit choisir entre l’agriculture et l’industrie
Les paysans suisses ont le sentiment qu’ils sont sacrifiés au profit des exportateurs industriels. Pourquoi economiesuisse n’ouvre-t-elle pas un dialogue sérieux avec eux?
Mais nous en avons déjà! Nous nous réunissons deux fois par an pour un tour d’horizon. Et nous avons d’autres réunions sur des sujets ponctuels. Je peux comprendre leur inquiétude. Il faut savoir que nos agriculteurs ne profitent que de 25% des droits de douane sur les produits agricoles importés, le reste alimente le budget de la Confédération.
Et encore: Economiesuisse froisse les paysans en leur conseillant de «faire autre chose»
Mais reconnaissez-vous que l’agriculture suisse n’est pas qu’une question de marché et de droits de douane?
Bien sûr. L’agriculture fait partie de l’ADN de notre pays. Elle joue un rôle tant dans l’approvisionnement alimentaire que dans la protection de l’environnement et la sauvegarde de nos paysages. Mais il faut un équilibre entre la protection de l’agriculture et le développement de l’ensemble de notre économie, dans l’intérêt de notre pays.