Les périodes de restrictions ont cela de bon qu'elles aiguisent l'ingéniosité des hommes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, comme toute l'Europe, la Suisse manquait singulièrement de viande, la priorité étant donnée à la culture de produits de base comme la pomme de terre. C'est dans ce contexte que Claude Blancpain, un Fribourgeois, étudiant et fils d'industriel, a pu concrétiser une idée qui s'avérera lumineuse. En fait d'idée, il s'agit plutôt d'une recette qui, dans un premier temps, améliorera l'ordinaire culinaire morose des Suisses durant la guerre, avant de faire le bonheur de plusieurs générations de gourmets, ceux d'aujourd'hui compris: le Parfait.

Qui ne connaît pas le Parfait? Qui n'a pas le souvenir d'un pique-nique ou d'un goûter composé de tranches de pain frais nappé de cette pâte à tartiner? A vrai dire, personne. La preuve: plusieurs études de marché révèlent que le produit emballé dans un tube rouge est reconnu par la totalité des Suisses.

Mais si la marque est connue, sa composition, par contre, reste plus mystérieuse, laissant parfois la place aux suppositions les plus erronées. Non, le Parfait ne fait pas partie de la même famille que les cervelas ou autres saucisses considérées d'un œil douteux par les consommateurs soucieux de leur santé et de leur taux de cholestérol. S'il devait être classé il ferait plutôt partie des produits «bios», car son ingrédient principal n'est pas carné, mais végétal.Plus précisément, il s'agit d'une matière bien connue des amateurs de bière: la levure. C'est durant ses études en chimie que Claude Blancpain a découvert les propriétés nutritionnelles exceptionnelles de ce champignon monocellulaire. Un attrait qui s'est très vite transformé en passion. A la fin de ses études l'ayant mené au doctorat, le Fribourgeois s'est fixé comme objectif de produire un aliment à base de levure.

Son véritable problème n'est pas nutritionnel, mais gustatif. Pour que le produit «marche», il faut absolument qu'il soit agréable en bouche et qu'il se conserve longtemps. En fait, l'idée n'est pas nouvelle. Durant la guerre 14-18, un chimiste viennois, Léo Offer, avait déjà tenté l'aventure. Son projet était de remplacer la viande par de la levure dans les saucisses à tartiner. Il avait cependant tourné court, le goût n'ayant plutôt rebuté les consommateurs.

Nullement découragé par cette première expérience, Claude Blancpain s'est ingénié à mettre au point un nouveau produit durant les années qui ont précédé la guerre. Outre la levure qui remplaçait la viande, le Fribourgeois substitua les graisses animales par des matières végétales, nettement plus digestes. La recette était prête, il fallait encore la concrétiser.

Pour cela, Claude Blancpain était décidé à créer aussi vite que possible une entreprise pour lancer son pâté. La guerre accélérera sa réalisation. Il obtient rapidement des autorités fédérales, avec le soutien du conseiller fédéral Wahlen, les autorisations lui permettant d'utiliser le fer-blanc, matière particulièrement rationnée. Afin de réduire au maximum les risques et les investissements nécessaires à la construction d'une usine, le Fribourgeois décide de s'installer dans les locaux mêmes de la Brasserie du Cardinal à Fribourg. Une manière de faire d'une pierre deux coups, puisque la brasserie doit également fournir la levure nécessaire à la fabrication du pâté.

La production proprement dite ne démarre timidement qu'en 1942 avec la mise sur le marché des pâtés Dyna et Tartex, les ancêtres du Parfait. Immédiatement, les consommateurs sont séduits et les ventes de l'entreprise, qui arbore la raison sociale de Dyna, décollent. A tel point qu'en 1945, à la fin de la guerre, la société simple se transforme en société anonyme.

La belle histoire aurait cependant pu s'arrêter là. Car après les années d'euphorie, engendrées en grande partie par les privations subies par les Suisses, les ventes de Dyna s'effondrent. Les produits qui n'ont pas changés sont considérés comme des «Ersatz» et sont synonymes de difficultés. Mais comme dans tous les bons feuilletons, Claude Blancpain et son collège Erwin Haag, un docteur ès sciences qui l'a rejoint quelque temps auparavant et qui occupe le poste de directeur, ne se laissent pas abattre, persuadés qu'ils sont de l'intérêt de leur pâté à base de levure. Pour survivre, Dyna s'est mis à fabriquer des confitures, des gelées ou autres raviolis frais. Cependant, en parallèle, le duo met au point le produit capable d'assurer l'avenir de Dyna.

La nouvelle recette est lancée en 1950. Son nom: le Parfait. Pour le distinguer de ces prédécesseurs, le produit est décrit comme une «crème sandwich au foie truffée». Tout comme pour les pâtés Dyna et Tartex, le succès est immédiat, notamment auprès de la jeunesse et il permet à l'entreprise de remonter la pente.

Croissance oblige, Dyna se voit contrainte de louer des locaux à l'extérieur de la Brasserie du Cardinal pour tout ce qui ne touche pas à la fabrication pure. Mais en 1956, Claude Blancpain se rend à l'évidence: il est nécessaire de regrouper l'ensemble de l'entreprise sous le même toit. Dyna décide alors de construire une nouvelle usine ultramoderne dans la zone industrielle de Fribourg. L'inauguration a lieu en 1959. Depuis, la fabrique du Parfait n'a plus bougé.

En 1962, Dyna introduit de nouvelles machines qui permettent la production «à la chaîne» de Parfait en tube. L'introduction des portions en aluminium se fera cinq ans plus tard. La société fribourgeoise, qui emploie désormais une centaine d'employés, est au faîte de sa gloire.

Mais le marché suisse est petit. Pour continuer à grandir, Dyna n'a d'autre choix que de s'orienter vers l'étranger. Un développement coûteux que l'entreprise de Claude Blancpain ne peut se permettre. Seule solution: s'allier avec quelqu'un déjà implanté. En 1970, un accord de fusion est conclu avec le groupe bâlois Ursina-Franck. Quelques mois plus tard, Ursina-Franck est lui-même repris par le géant Nestlé Alimentana.