Des décisions que les employés de Richemont peinent à digérer. Tandis que le groupe de luxe genevois (Cartier, Van Cleef & Arpels, Montblanc) annonçait le 27 mai que la rémunération de son comité de direction atteindrait 41,4 millions de francs (+35,8%) pour l’exercice achevé fin mars, les employés apprenaient que leurs primes annuelles seraient amputées d’au moins 25%, comme le révélait récemment Business Montres. Richemont ne compensera plus non plus les salaires des collaborateurs au chômage partiel. A partir de juin ou juillet, selon les sociétés filles, ils ne recevront donc plus que 80% de leur revenu, contre 94% jusqu’ici, indique Unia.

Raphaël Thiémard, responsable national de la branche horlogerie au sein du syndicat, se dit choqué par cette situation: «Il n’est pas normal qu’un groupe qui bénéficie d’argent public pour garantir le maintien de ses emplois agisse de la sorte.» Ce qui l’inquiète surtout, c’est de constater que les mesures de chômage partiel risquent encore de durer, vu la timidité de la reprise: «Les employés au revenu modeste, dont beaucoup de femmes, se retrouvent dans des situations très compliquées.»

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«Nous ne sommes plus que des outils de production

C’est notamment le cas d’une collaboratrice qui a accepté de témoigner anonymement. Après une dizaine d’années passées au sein du groupe, cette employée de production gagne environ 4500 francs par mois. Elle est en RHT depuis mi-mars et verra son salaire amputé dès le mois de juin: «Tout le monde doit faire des efforts, mais apprendre que nos hauts dirigeants se partagent 41 millions est un gros problème. Ce sont eux qui devraient réduire leurs revenus, pas les collaborateurs qui gagnent moins de 5000 francs par mois.»

Par conséquent, la grogne monte parmi les employés et la motivation disparaît: «Je n’ai plus envie de mouiller ma chemise, et mes collègues non plus. Richemont aime se placer en défenseur du savoir-faire, mais ce ne sont que de belles paroles. Tout ce qui compte, en réalité, c’est de réduire les coûts et d’augmenter les marges. Nous ne sommes plus que des outils de production.»

En Italie, le mécontentement des employés de Richemont a déjà donné lieu à des actions concrètes. Le quotidien piémontais La Stampa faisait état samedi dernier de mouvements de grèves organisés le 5 juin par près de 300 travailleurs du pôle joaillier du groupe de luxe helvétique. Situés à Turin et à Milan, ils ont débrayé pendant huit heures pour dénoncer les coupes dans les primes.

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«Un management déconnecté de la réalité»

Raphaël Thiémard concède avoir peu de moyens d’agir auprès de Richemont. «Ce genre de décisions désastreuses, nous les apprenons malheureusement dans la presse», regrette-t-il. Son message au comité de direction du groupe de luxe? «S’ils ont les moyens de ces plantureuses augmentations pour quelques-uns, alors ils les ont aussi pour éviter à tous les autres de gagner moins! Sinon, qu’ils ne s’étonnent pas que leurs employés grincent des dents et se sentent démotivés.»

Le syndicaliste estime que les organes dirigeants du groupe n’ont plus les pieds sur terre: «C’est tellement gros que ça ne peut pas simplement être une erreur de communication. Cela témoigne d’un management au sommet totalement déconnecté de la réalité.» Unia prévient déjà que si Richemont devait recourir à des licenciements collectifs dans ces prochains mois, le groupe se verrait sans aucun doute mis face à ses contradictions. Contacté, Richemont n'a pas répondu à nos questions pour le moment.