Dominique Mouret remet les pendules à la bonne heure
Portrait
AbonnéL’horloger de Sainte-Croix travaille sur des horloges d’exception, les restaure en voyant, dit-il, à travers le temps et sous la surface

C’est une haute maison. Les appartements aux étages, l’atelier au rez-de-chaussée. Elle est plus connue sous le nom de Villa Reuge, ancien domicile d’une famille qui fabriquait des boîtes à musique à Sainte-Croix (VD). Dominique Mouret a acquis la prestigieuse bâtisse en 2006. Aucun risque qu’il ne dénature les lieux. Il est horloger et pendulier – une horloge est définie comme un «instrument destiné à mesurer le temps et à indiquer l’heure, la pendule comme une «petite horloge dont le mouvement était, à l’origine, entretenu et réglé par un pendule; une pendule est donc une horloge, mais toutes les horloges ne sont pas forcément des pendules.
Les musées et les collectionneurs privés du monde entier confient à Dominique Mouret des objets à réparer ou restaurer. Le plus souvent, on ne lui demande aucun devis, aucune date de rendu. Il a champ libre. On attend de lui un travail proche de la perfection. Aucun souci, il fera mieux. L’atelier donc. Il est avant tout sonore: carillon, gong, oiseau chanteur, pendule à jeu de flûte, merle, cloche, etc. Ariane, épouse de Dominique, historienne de l’art, dit: «Lorsque je suis ailleurs, j’ai l’impression que tout est mort.» Que de pendules ici, que d’horloges, que de pièces dorées, lustrées, rutilantes.
Comme une nursery
Combien? Il ne sait pas précisément. Dominique Mouret n’aime pas tenir ce genre de comptabilité. Il préfère estimer le nombre de dents des rouages. Mais, concède-t-il, «il y a sans doute environ une centaine d’objets». Les siens et ceux qu’il travaille avec art et minutie. Il aime le mot «objet», terme générique qui convient à tout ce qu’il y a, de la pendule dite XIV à grande sonnerie, à la pendulette Capucine Louis XVI en passant par la pendule veilleuse Louis XV.
Ce n’est pas un musée, insiste-t-il. Ce serait plutôt un centre de soins, une nursery à pendules qui ici renaissent. «Avant d’avoir des mains, il faut des yeux et un cerveau. Les professeurs nous font franchir quelques marches, mais c’est à nous de gravir l’escalier», commente Dominique Mouret. Il égratigne un peu les écoles d’horlogerie qui font des élèves des opérateurs qui ne savent ni limer ni tourner. Lui façonne avec des outils qui n’existent pas, inventés en quelque sorte par lui-même ou d’autres horlogers.
Pour refaire un modèle, il lui faut toujours comprendre la personne qui l’a fabriqué. Pour cela, il possède un sixième sens et ce qu’il nomme une bibliothèque 3D. Il cite en exemple les clés de remontage qui doivent être le prolongement de la main du client. «Je suis chasseur de clés», sourit-il. Dans ses tiroirs, des milliers de petites pièces, des métaux bruts, laiton, or, argent, des alliages, des lubrifiants, suif de porc ou cire d’abeille. Il dit qu’il faut voir à travers le temps et voir sous la surface. Comme auprès de cette pendule cage à oiseaux «aux milliers de soucis» qui exigera au bas mot 800 heures de travail.
Dominique Mouret est né dans l’Oise, département de la couronne parisienne. Père artisan boulanger-chocolatier. Un grand-père forgeron qui lui glisse quelques sous lorsqu’il rend service. C’est ainsi qu’il fait, gamin, les brocantes du coin avec sa grand-mère qui aime chiner. Lui dégote des engrenages, des mécanismes à monter et démonter. Et dans la forge, il se joue des carrosseries et châssis des voitures miniatures trop plan-plan à son goût et modèle des bolides qu’il envoie battre des records du tour sur des circuits imaginaires.
Il doit faire quelque chose de cette fascination pour l’ouvrage de haute précision. Ferronnerie d’art? Ebénisterie? L’ado, à 16 ans, préfère l’horlogerie «parce qu’il y a un cœur qui bat à l’intérieur». Les parents l’inscrivent à l’Ecole d’horlogerie d’Anet à Dreux, en Eure-et-Loir. «Le directeur sortait de ses poches des montres Renaissance», se souvient-il. Il retient que la restauration doit être invisible. Cela le taraude. On lui fait comprendre qu’en matière d’horlogerie, tout ou presque se passe en Suisse.
J’y suis, j’y reste
Les parents donnent leur accord: en 1976, il fait sa rentrée au Technicum du Locle pour approfondir ses connaissances en matière d’horlogerie ancienne. Stages à La Chaux-de-Fonds et à Berne, chez d’éminents penduliers restaurateurs, puis il se spécialise dans les pendules au Musée international d’horlogerie de La Chaux-de Fonds. En 1984, on lui parle du projet de Centre international de la mécanique d’art à Sainte-Croix. Il s’installe là-bas, rejoint la société Techniques Horlogères Appliquées. Mais le travail à l’établi lui manque. Retour au premier amour, la pendule ancienne dont il faut tout refaire «parce qu’il n’y a pas de pièces interchangeables comme sur la Bugatti 1930».
Il pense aujourd’hui à la transmission. L’Alsacien Nicolas Uhl, 27 ans, est à ses côtés. Le jeune horloger formé à Pforzheim, en Allemagne, a sonné chez Dominique Mouret un matin d’hiver de 2017. Stage d’une semaine. Il n’est pas reparti. Est devenu au fil du temps le coéquipier. Il travaille actuellement sur une pendulette mensuelle période Art déco 1920. «Un défi, puisque sa dernière révision remonte à cinquante ans», précise Nicolas. Il a fallu fabriquer un outil d’acier et de fer pour la démonter, car le carré à molette était rouillé. Du sur-mesure. L’outil ne servira probablement plus jamais…
Profil
1958 Naissance à Chaumont-en-Vexin, dans l’Oise.
1974 Ecole d’horlogerie de Dreux.
1976 Intègre le Technicum du Locle.
1982 Diplôme de technicien en restauration de pendules anciennes.
1985 Se met à son compte à Sainte-Croix.
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