Horlogerie
Un graphiste lausannois, Claudio D’Amore, est à l’origine d’un projet qui remet en question le label du «swiss made» et les réseaux traditionnels de ventes de montres. Il détaille son projet au Temps

C’est un dossier qui titille les adeptes de montres depuis plusieurs mois. Qui se cache derrière le projet anonyme «Goldgena», lancé sur Internet en mars dernier? Qui sont ces gens qui promettent via une campagne de communication incisive de «mettre un coup de pied dans la fourmilière horlogère»? De «lancer une nouvelle marque sans budget ni réseau de distribution»? De dire «toute la vérité sur ce swiss made qui trompe les consommateurs»? Et d’apporter des alternatives aux circuits de distribution traditionnels, jugés complètement engorgés?
Plusieurs questions, une seule réponse: Claudio D’Amore et quatre collaborateurs. Ce quadragénaire lausannois est le fondateur de l’agence de design Cosanova et le chef d’orchestre du projet Goldgena. Il a décidé de se faire connaître aujourd’hui. «Nous sommes restés anonymes jusqu’à maintenant parce que cela stimulait la curiosité du public pour notre projet... Je suis d’ailleurs surpris de voir avec quelle hystérie certains ont voulu nous traquer», souligne tranquillement Claudio D’Amore dans son bureau du centre-ville lausannois.
Depuis ce printemps, à coup de petites vidéos caustiques largement partagées sur les réseaux sociaux, le designer orchestre son plan de communication. Le projet Goldgena doit s’articuler en quatre phases. D’abord, dénoncer le double aspect problématique du «swiss made», détailler les marges des acteurs de l’industrie horlogère et pointer les problèmes de la distribution traditionnelle. Dans un second temps, présenter une première version de la montre que Goldgena entend vendre à sa communauté et partager avec elle tout le développement du projet. La phase trois (qui devrait débuter cet automne) verra le lancement de la campagne de financement participatif sur Kickstarter. Enfin, entre octobre et mai 2017, Goldgena produira et livrera les gardes-temps qui ont trouvé preneurs. «C’est ambitieux, reconnaît Claudio D’Amore. Peut-être aussi que l’on va simplement se planter.»
Manque de transparence
Ce bon connaisseur de l’industrie – il dessine des montres depuis 15 ans pour des marques comme TAG Heuer, Parmigiani, Montblanc, Hautlence ou Oris – a toujours eu l’envie de lancer sa propre griffe. Pourquoi maintenant? «Cette crise, c’est justement le bon moment pour se poser des questions. Faut-il continuer de la même manière et aller dans le mur ou innover en trouvant de nouveaux moyens de vendre des montres?», s’interroge Claudio D’amore.
Première cible: le «swiss made». «En regardant la loi de près [ndlr: qui exige que 50% au moins de la valeur du mouvement doit venir de Suisse], on doit reconnaître que cela manque de transparence», critique-t-il. A ses yeux, le fait qu’une montre puisse avoir une majorité de composants étrangers et être tout de même estampillée du précieux label est incompréhensible. «Et trompeur pour les clients qui croient vraiment acheter un produit intégralement fait en Suisse, alors que ce n’est le cas que pour quelques rares marques haut de gamme. Le renforcement attendu en 2017 n’y changera rien pour les montres mécaniques.»
Une palette de degré de suissitude
Pour résoudre ce problème, Claudio D’Amore a inventé le label de transparence TTO (Transparence Totale sur l’Origine), qui détaille précisément d’où viennent les pièces de la montre. Et ce sont les clients qui choisissent: voudront-ils une montre Goldgena intégralement manufacturée en Suisse (plus de 4000 francs), «swiss made» (dont le mouvement est suisse, mais dont les composants viennent de l’étranger: environ 1500 francs) ou «non swiss made» (le mouvement est japonais et le reste est chinois et italien: environ 700 francs)? Appelés à voter, les quelque 4000 personnes qui s’intéressent aujourd’hui à Goldgena penchent pour l’option «swiss made». «Notre communauté comprend essentiellement des Suisses, adeptes d’horlogerie. Ce qui explique selon moi cet attachement», explique Claudio D’Amore.
Deuxième cheval de bataille: le réseau de distribution. Pour économiser la part des détaillants et éviter les problèmes de stocks qui favorisent le marché gris, Goldgena n’entend passer que par la vente en ligne et les «pop-up stores» (points de vente ouverts sur une courte durée). «Et faire de nos clients des ambassadeurs», ajoute Claudio D’Amore. Concrètement, si un client veut d’abord voir la montre avant d’envisager l’acheter, il pourra contacter les détenteurs de montres Goldgena installés dans sa région via une application pour smartphone. Si cela se concrétise en acte d’achat, les deux bénéficieront d’un intéressement financier sur la vente.
Pour l’heure, Goldgena n’est financé qu’avec les fonds de l’agence Cosanova. Claudio D’Amore aura besoin de lever 150 000 francs via la campagne de financement participatif pour pouvoir lancer son projet. Il reste lucide: «Je sais bien que ce n’est pas notre petite démarche qui va bouleverser l’industrie. Mais notre but est simplement d’ouvrir le débat...» Chaque mois, entre 100 et 200 personnes s’inscrivent sur son site Internet. Et la publication du graphisme de la montre a suscité plus d’une centaine de commentaires en moins de cinq jours. Certains sont parfois très critiques mais la majorité salue la démarche qualifiée de fraiche et novatrice.