Les horlogers dans l’attente des marchés
Manufactures
Les horlogers sont en pleine relance de leurs activités, à un rythme qui reste pour l’heure très réduit. Aucun ne se risque actuellement à des projections précises concernant un éventuel retour à la normale, qui ne devrait pas avoir lieu avant plusieurs semaines

La lenteur symbolise presque autant la Suisse que l’horlogerie. Depuis quelques jours, elle s’invite dans les manufactures occupées à se déconfiner. L’activité brutalement ralentie, voire interrompue, depuis le 17 mars reprend petit à petit son cours. De longues semaines seront encore nécessaires avant que la machine ne soit relancée à plein régime, tant pour des raisons sanitaires qu’économiques.
Un redémarrage timide
MB&F emploie 24 personnes. La manufacture genevoise a fonctionné à 25% de ses capacités en avril. «La production est un vrai casse-tête», déclare son fondateur, Maximilian Büsser. «Nous l’avons arrêtée en début de crise. Depuis deux semaines, nos équipes tournent en alternance dans les ateliers, une semaine sur deux. Des masques et des gants sont à disposition, et les locaux sont désinfectés quotidiennement», précise le chef d’entreprise confiné dans son logement à Dubaï.
Maximilian Büsser évoque un taux d’occupation de 35 à 40% en mai, sans aucune certitude: «Vingt-cinq de nos 27 détaillants sont actuellement fermés. Tout peut changer très vite, c’est très difficile de faire des plans. Nous sommes cependant certains de perdre 45% de notre production annuelle et nous ne pourrons pas tenir nos délais de livraison.» Il estime que 140 montres sortiront de ses ateliers avant fin décembre, alors qu’il était prévu d’en produire 260. «Nous allons devoir repousser des projets pour survivre. Si la crise se prolonge en 2021, nous devrons nous réorganiser», conclut-il sans préciser ce que cela pourrait signifier.
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«Nous attendons des composants de nos fournisseurs»
D’autres n’ont jamais totalement arrêté leur production, à l’instar de Maurice Lacroix, à Saignelégier (JU). «Nous avons reçu d’importantes commandes en début d’année et nous avions du retard à rattraper. Nous tournons au ralenti pour répondre aux exigences sanitaires, mais aussi parce que nous attendons des composants de nos fournisseurs également impactés par le Covid-19», précise le directeur général, Stéphane Waser.
Pour lui, la réactivité est essentielle: «Nous avons produit 2000 montres la semaine dernière. Actuellement, la demande des détaillants est faible, mais il faut que nous puissions les livrer lorsque les marchés rouvriront.» Comme nombre de ses homologues, Stéphane Waser ne se risque pas au jeu des pronostics et s’attend à une reprise très lente: «Certains détaillants ont des problèmes de liquidités et nous n’avons pas de commandes conséquentes pour le moment. Nous nous adapterons à la réalité du terrain.»
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Ce redémarrage prudent se constate aussi du côté des grandes manufactures. Dans les ateliers d’Omega, à Bienne, la production a repris le 20 avril, de manière très allégée. Selon nos informations, certains ateliers ne travaillent que quatre heures par jour avec des équipes divisées en deux, en alternance quotidienne. Actuellement, aucun calendrier n’a été communiqué aux employés, qui reçoivent leurs horaires de semaine en semaine.
Chez Rolex, plusieurs sources évoquent un redémarrage de la production le 4 mai, sans pouvoir préciser sous quelle forme. Cette date a aussi été retenue par Zenith. La marque locloise annonce le retour en atelier de 30 à 40 personnes, soit un tiers des effectifs. «Nous devrions remonter à 50% en juin, avec des marchés toujours bloqués, et nous espérons un retour à la normale en juillet», confie le directeur, Julien Tornare.
Pas de grandes inquiétudes pour l’emploi
Malgré les incertitudes actuelles, les patrons se montrent plutôt confiants pour l’avenir, notamment concernant l’emploi. Les mesures de chômage partiel (RHT) mises en place par la Confédération sont saluées de toutes parts. Selon Philippe Bauer, président de la Convention patronale de l’industrie horlogère (CPIH), environ 40 000 personnes étaient concernées au plus haut de la crise, soit près de 70% des effectifs recensés dans la branche (59 103 au 30 septembre 2019).
Unia ne s’alarme pas non plus de cette situation. «L’horlogerie a l’avantage d’être familière des crises, même si elle n’en a jamais connu d’aussi brutale. Nous savons que ce secteur tient à conserver son personnel et ses compétences. Il y aura des conséquences sur l’emploi, mais elles ne devraient pas être massives», évalue Raphaël Thiémard, responsable national de la branche Horlogerie et Microtechnique au sein du syndicat. Il constate que pratiquement toutes les manufactures ont recommencé à produire, essentiellement pour alimenter des stocks.
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Le cas des travailleurs temporaires
Ces propos ne doivent toutefois pas faire oublier la disparition quasi totale des travailleurs temporaires dans les entreprises horlogères, confirmée par Raphaël Thiémard. «Ces contrats sont utilisés pour augmenter les effectifs lorsque tout va bien, parfois pour une longue durée. Ils sont aussi les premiers supprimés lorsque les exportations ralentissent», regrette le syndicaliste.
Philippe Bauer concède que «c’est une des caractéristiques de la branche horlogère que d’avoir recours au travail temporaire». Aucun recensement officiel n’existe dans ce domaine, mais lorsque l’on demande au président de la CPIH si plusieurs milliers de ces contrats ont été supprimés en raison de la crise de Hongkong, du Brexit et du Covid-19, il répond: «Vraisemblablement.»