Où iront les montres suisses après Hongkong?
Horlogerie
À l’heure du recul des exportations vers la mégalopole, les patrons des marques évoquent la nouvelle donne du marché horloger au salon Watches and Wonder de Hongkong

Une malédiction? Certainement pas. Mais pour plusieurs observateurs, le salon horloger Watches&Wonder (W&W), qui s’est tenu la semaine dernière à Hongkong, joue de malchance. Il y a deux ans, un typhon s’abattait sur la mégalopole asiatique peu avant son inauguration. L’an dernier, l’île était bloquée, vibrant de manifestations pour sa démocratie. Cette année, au moment où les douze marques investissaient le centre des congrès pour quatre jours, les exportations horlogères à Hongkong accusaient leur septième mois de baisse consécutive. Le groupe Richemont, qui possède toutes les maisons présentes au salon à l’exception de Richard Mille, a expliqué en août que ses ventes dans la région avaient été «significativement plus basses» ces derniers mois. Pour Hongkong, première destination des montres suisses, «c’est une année noire», simplifie un vétéran de l’industrie de passage en Asie.
Pas de quoi plomber l’ambiance pour autant. Surtout que les marques ne vont pas à W&W pour vendre des gardes-temps – elles y réalisent en moyenne moins de 5% des ventes qu’elles n’en comptabilisent au SIHH, grand frère suisse de W&W – mais pour rencontrer des clients et la presse asiatique. Invité à Hongkong par les organisateurs, Le Temps a interrogé certains patrons horlogers sur l’évolution du marché dans la région. Et si tous évoquent «le coup d’arrêt de Hongkong», ils sont unanimes: après des années de croissance à deux chiffres, l’heure est aujourd’hui à un nouvel équilibre. Avec des différences entre les marques.
«Nous avons tendance à regarder uniquement Hongkong et la Chine. Mais l’Asie est un continent rempli de territoires émergents», commente par exemple Philippe Léopold-Metzger. L’homme fort de Piaget note ainsi que Taïwan ou la Corée «continuent de se développer. Demain, ce sera l’Indonésie, le Vietnam. Et pourquoi pas la Birmanie..?» En marchant sous les 156 kilomètres de chaînettes qui dessinent le ciel de son stand, il admet que ses chiffres sont en baisse à Hongkong. «Mais ils explosent au Japon ou en Europe!» La joaillerie offre également des opportunités. Selon Vontobel, Piaget réalise 15% de ses ventes grâce aux bijoux – un chiffre que Philippe Léopold-Metzger ne souhaite pas commenter. «Ce que je peux dire, c’est que dans les boutiques nous vendons environ quatre bijoux pour chaque montre. Et qu’il y a dans la joaillerie encore une réserve de développement en terme de chiffre d’affaires.»
Quelques heures avant d’accueillir son égérie australienne – la vedette Hugh Jackman est passée ravir les groupies sur le stand de Montblanc – Jérôme Lambert balayait lui aussi les inquiétudes d’un revers de main. Certes, les chiffres à Hongkong «ne sont plus aussi brillants qu’avant… Cela a commencé dès les manifestations de l’année dernière», relève-t-il. Mais cela n’inquiète pas la marque connue d’abord pour ses stylos-plumes – qui réalise aujourd’hui 25% de ses ventes grâce aux montres. «Traditionnellement, une marque horlogère fait un tiers de son chiffre d’affaires en Chine, un tiers à Hongkong et un tiers dans le reste du monde. Montblanc fait deux tiers en Chine continentale (avec 100 boutiques) et nous restons petits à Hongkong», précise Jérôme Lambert.
Daniel Riedo, directeur de Jaeger-Lecoultre, résume: «Pour nous, si le sud-est asiatique se porte bien, Hongkong est assez bas, les affaires remontent en Chine continentale et à Macao, nous vivons la période la plus difficile que nous avons jamais connu.» Ce dernier observe en fait un «transfert de clients» entre les pays. La grande maison, comme elle est parfois surnommée dans l’industrie, va d’ailleurs fermer une boutique à Hongkong en octobre. «Mais on en a ouvert quatre en Chine continentale cette année et huit aux Etats-Unis et au Canada…» Pour Daniel Riedo, l’une des causes de ces déplacements de clients vient des devises et de leurs écarts. Pour corriger les différences naissant des mouvements brutaux entre les monnaies, la marque de la Vallée de Joux a (comme presque toute l’industrie d’ailleurs) revu ses prix plusieurs fois. Au total, l’augmentation des prix en euros et en yens est allée jusqu’à 17%; à l’inverse, les prix en dollars (hongkongais et américains) et en francs ont été revus à la baisse dans les mêmes amplitudes.
Les vents contraires qui soufflent sur la région sont également loin d’émousser la confiance que A. Lange & Söhne possède pour ses montres de collection. La marque allemande basée à Glasshütte (Saxe) ne se préoccupe en fait pas vraiment de la situation à Hongkong. Ni même de celle de l’Asie, d’ailleurs. «Nous travaillons sur un marché de collectionneurs, rappelle son directeur Wilhelm Schmid. Pour nous, en Asie, la situation n’a pas changé.» La marque dont la manufacture a été inaugurée en août par Angela Merkel ne possède que 15 boutiques en propre dans le monde – un chiffre qui n’évolue guère puisque chaque fois qu’une boutique est ouverte quelque part, une autre est fermée ailleurs.
Une coupe de champagne à la main, Jean-Marc Pontroué conclut lui sur le concept de «normalisation du marché». Le patron de Roger Dubuis, rencontré en marge de l’un des soupers organisés par la plus jeune marque du groupe, note comme les autres que le coup de frein sur Hongkong dure depuis environ un an. Mais pas d’inquiétudes: «les ventes grimpent au Japon, en Corée, et même en Suisse. Il s’agit simplement d’une redistribution des cartes…»
Cette nouvelle donne pourrait-elle pousser les marques exposantes à changer la périodicité du salon, qui se tiendrait alors tous les deux ans? Le sujet est dans l’air et vendredi après-midi, les patrons des maisons devaient se retrouver pour en débattre. Avec un chiffre en tête: la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH) qui organise l’événement a noté une progression de 25% du nombre d’entrées (16’000 en 2014 contre 20’000 cette année). N’allez plus leur parler de malédiction…
Le visiteur aura enfin relevé que, sur l’un des stands, il n’est question ni de conjoncture économique, ni d’exportations horlogères, ni encore de nouveaux tourbillons. Mais de coucous. En partenariat avec la FHH, la Haute école d’art et de design de Genève y exposait 24 modèles de coucous suisses revisités par des élèves et des professeurs.
Que reste-t-il aujourd’hui de cet objet iconique? Une grande variété d’idées, à coup sûr. Parfois poétiques, comme ce boitier connecté à un distributeur de graines installé dans le Pays d’Enhaut (VD). Qui prend automatiquement une photo de chaque oiseau venant picorer une graine pour l’imprimer au pied du visiteur à Hongkong.
Pour la première fois en Suisse, l’exposition sera visible au SIHH en janvier prochain.