Horlogerie
Goldgena, Montfort Watches et G. Gagnebin. Coup sur coup, trois jeunes sociétés suisses se lancent sur des plateformes de financement participatif pour y vendre des montres mécaniques

En apparence, c’est un hasard du calendrier. Coup sur coup, dans cette deuxième moitié de novembre, trois sociétés suisses se sont lancées sur des plateformes de financement participatif pour y vendre des montres mécaniques. Prix moyen: environ 500 francs. En deux jours, les Lausannois de Goldgena ont levé 192 580 francs (368 contributeurs). Les Nyonnais de Montfort ont rassemblé 122 013 francs en sept jours (142 contributeurs). Plus modestement, du côté de Bienne, David Gagnebin a pour l’heure récolté 2010 francs en deux jours (8 contributeurs). A l’heure où les chiffres d’exportations horlogères s’effondrent de mois en mois et où les menaces de licenciements plombent les manufactures helvétiques, cela fait tout de même plus de 300 000 francs réunis en quelques jours. Pour des marques inconnues.
Bousculer le «swiss made»
Goldgena a atteint son objectif – 80 000 francs – en deux heures. «Si vous ne faites rien avant de vous lancer sur Kickstarter, vous restez dans les abîmes de la plateforme. Je pense que pour réussir son coup, il faut amener avec soi une bonne partie de sa clientèle», note Claudio D’Amore, graphiste lausannois derrière le projet. Lancé en mars dernier, cette initiative vise à «bousculer le soi-disant swiss made» et l’approche traditionnelle de la distribution et du marketing. La société est ainsi complètement transparente sur l’origine des composants de ses montres mécaniques et propose différentes alternatives – choisir entre des mouvements japonais ou suisses, par exemple, pour faire tourner le modèle baptisé Code 41.
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«Pour être honnête, si nous avions atteint seulement 80 000 francs, cela aurait été un échec pour nous, avoue Claudio D’Amore. Nous visons plutôt les 500 000 pour récupérer un peu de notre investissement et voir 2017 arriver sereinement.» Entre la confection de prototypes, les vidéos, les photos, le «bruit» sur les réseaux sociaux, etc. le budget de cette campagne de financement avoisine les 35 000 francs. «Nous avons beaucoup fait à l’interne. Et surtout recouru au système D. On a par exemple embauché des indépendants sur freelancer.com aux quatre coins du monde. En Suisse, cela nous aurait plutôt coûté 300 000 francs…»
«Faire les montres, c’était presque le plus facile»
Du côté de Montfort, on évalue l’investissement à 50 000 francs. «Faire la montre, c’était presque le plus facile. Kickstarter s’est vraiment professionnalisé: avant, n’importe qui pouvait faire une vidéo dans son garage avec son iPhone pour demander de l’argent. Maintenant il faut faire un film d’un niveau presque professionnel», s'étonne encore Jérémie Senggen. Pour le cofondateur de la marque nyonnaise, qui promet des montres à la résistance exceptionnelle (grâce à une diffusion d’azote et de carbone à la surface de la pièce), cette campagne n’est aussi qu’un début. «Kickstarter permet de produire un premier lot de montres, mais le but n’est pas seulement de quémander de l’argent», avance-t-il. Aux yeux du Valaisan d’origine, c’est aussi un excellent moyen de se faire de la publicité et de crédibiliser le projet en vue d’intéresser des investisseurs potentiels.
David Gagnebin a opté pour la plateforme suisse WeMakeIt, sur laquelle il a investi entre 8000 et 10 000 francs. «Sur Kickstarter, il y a déjà énormément de projets horlogers et je ne voulais pas être dilué parmi eux», explique le Biennois. Son objectif, relancer la marque familiale G. Gagnebin & Cie tombée dans l’oubli. Il connaît des débuts certes modestes, mais le graphiste se dit confiant: «Plusieurs événements sont prévus au mois de décembre pour aller à la rencontre de clients potentiels. C’est vraiment l’essentiel.»
Le décalage des marques traditionnelles
En apparence, le fait que ces projets soient lancés en même temps est un hasard du calendrier. Mais c’est peut-être aussi le signe d’une évolution dans la manière dont les vendeurs de montres s’adressent à leurs clients. «Avec la crise actuelle, on réalise qu’en proposant des montres avec un meilleur rapport qualité-prix, les clients répondent présents», lance Claudio D’Amore, en mentionnant l’exemple de la Grande-Bretagne: depuis le vote sur le Brexit et la brutale dévaluation de la livre sterling, on n’y a jamais vendu autant de montres suisses. Le cofondateur de Montfort Jérémie Senggen juge, lui, que les marques traditionnelles n’ont pas évolué avec leurs temps. «La façon de consommer des montres a changé. Il y a une perte de contact entre les grandes sociétés et leurs clients, que nous pouvons compenser grâce à ces nouvelles plateformes…»
Tout n’est pourtant pas toujours gagné d’avance. D’autres projets horlogers lancés sur ces réseaux de financement participatif ont parfois échoué à fédérer assez d’enthousiastes. Dernier exemple en date, les Suisses d’Art Mécanique Watches qui n’ont rassemblé qu’une petite moitié des 74 000 francs dont ils avaient besoin.