Michel Loris-Melikoff: «Baselworld est aussi en mode survie»
Horlogerie
Le patron de Baselworld répond aux exposants qui demandent le remboursement intégral des acomptes versés pour une édition 2020 tombée à l’eau. «Rembourser l’intégralité, c’est impossible. Si je le fais, je compromets Baselworld», assure Michel Loris-Melikoff

Un jour après les révélations du Temps sur la colère des exposants de la foire horlogère, Michel Loris-Melikoff, directeur de la manifestation, répond aux critiques. Après l’annulation de l’édition 2020, l’organisateur de la foire de Bâle – le groupe MCH – attend des marques qu’elles participent aux frais déjà engagés (18,36 millions de francs) et leur a proposé la semaine dernière deux variantes allant dans ce sens. Les horlogers répliquent en exigeant le remboursement intégral de leurs acomptes. «Impossible», pour Michel Loris-Melikoff, qui assure que cela mettrait en péril la manifestation.
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Le Temps: La menace articulée par les exposants suisses comme européens est très concrète. Ils évoquent dans leurs courriers la fin «pure et simple» de Baselworld. Comment réagissez-vous à ce tir groupé?
Michel Loris-Melikoff: Pour moi, ces réactions sont positives dans le sens où elles montrent que tout le monde tient à Baselworld. Mais je constate aussi un malentendu: il ne s’agit pas ici d’opposer le grand MCH aux petits exposants; nous sommes tous dans le même bateau.
Il y a une grande fracture entre votre discours, dans lequel vous affirmez faire preuve de générosité, et celui des marques qui ont le sentiment qu’on leur met la note sur le dos…
D’abord, parlons chiffres. Notre groupe a certes présenté récemment des résultats où nous faisions état de liquidités à hauteur de 140 millions de francs [ce que fustigent les exposants dans leurs courriers], mais aussi d’une baisse prévue du chiffre d’affaires 2020 du groupe de 130 à 170 millions en raison du Covid-19 [sur un total de 445,2 millions en 2019]. Face à cette situation, tous les responsables de salons de MCH doivent faire preuve d’une grande prudence. Notre responsabilité face à l’industrie, c’est de prendre toutes les bonnes mesures pour assurer le fonctionnement de MCH à travers cette crise et, par conséquent, de pouvoir continuer d’organiser Baselworld.
Mais comment expliquer cette différence de perception?
Je n’ai peut-être pas suffisamment communiqué sur les deux variantes que l’on propose à nos clients. Dans une telle situation, nous ne voulions pas appliquer nos conditions générales de manière rigide [le règlement de Baselworld ne prévoit théoriquement pas de remboursement pour les coûts déjà engagés]. C’est pourquoi nous avons proposé deux solutions, dont la première nous semble la meilleure puisqu’elle permet aux exposants de reporter 85% des montants investis sur la prochaine édition. Et nous ne conservons que 15% pour couvrir partiellement nos frais [dans la seconde, les exposants obtiennent un remboursement en cash à hauteur de 30% de leurs acomptes tandis que 40% sont reportés à 2021 et les 30% restants servent à couvrir les frais de MCH]. Nous pensions tenir une solution qui permet de faire perdre un minimum d’argent à nos clients mais aussi d’assurer l’avenir de Baselworld. En outre, si une grande majorité choisit l’option 1, cela nous permettra de soutenir de petits exposants en difficulté afin d’assurer leur participation en 2021.
Les coûts déjà engagés pour 2020 se montent à 18,36 millions. Admettons que tous les horlogers acceptent cette première variante, allez-vous rentrer dans vos frais?
Bien sûr que non, peut-être seulement à hauteur d’un tiers. Les exposants participent certes à la couverture des frais mais nous couvrons de toute façon l’essentiel. Pour MCH, il faudra un à deux ans pour compenser cet exercice et retrouver la rentabilité. Réalisez bien que Baselworld est aussi en mode survie!
Comment justifiez-vous cette facture de 18,36 millions?
Je ne peux pas vous dévoiler le détail. Mais comprenez que la décision d’annuler la manifestation est survenue à trois jours du début du montage, la quasi-totalité des frais étaient engagés. Dans les grandes lignes, ce sont des frais de production du salon, les salaires et la location des halles.
Quelle part des 18,36 millions la location des halles représente-t-elle?
C’est un poste important qui représente moins de 9 millions.
Les halles appartiennent à votre propre groupe… N’y a-t-il pas là une solution à trouver?
Nous les utilisons pendant quasiment deux mois et demi. Il faut bien les payer d’une façon ou d’une autre.
Les marques attendent un remboursement intégral de leurs acomptes. Combien ont-elles versé au total?
Au total, plus de 20 millions. Rembourser l’intégralité, c’est impossible. Si je le fais, je compromets Baselworld. Pourtant, après un tel annus horribilis, l’industrie aura besoin d’une plateforme pour vendre ses produits. Notre responsabilité est donc d’en assurer la pérennité.
Ces acomptes représentent des sommes importantes pour certaines petites marques…
Oui, je connais les petits horlogers qui ont mis 30 000 ou 40 000 francs dans leur stand et le fait que ça représente pratiquement tout leur budget marketing. Dans son courrier, le comité des exposants suisse écrit que «ce manque de considération de la part des dirigeants de MCH Group rappelle malheureusement une époque que nous avions cru révolue». Cette remarque m’a blessé personnellement. On aurait pu me le reprocher si j’avais appliqué le règlement à la lettre, mais pas dans la situation présente. Je fais tout cela pour la pérennité de la manifestation et la sauvegarde de l’industrie.
Vous dites que vous n’avez pas assez communiqué avec les marques. Le manque de dialogue est aussi un reproche que certaines d’entre elles vous font…
Lorsque vous avez 600 clients, vous ne pouvez discuter avec tout le monde. Surtout quand la crise fait changer les choses de jour en jour. De toute façon, vous connaissez le problème: avec 600 exposants, vous obtiendrez 650 opinions différentes.
Vous avez présenté deux variantes qui ne conviennent pas aux exposants. Est-ce que vous être prêt à négocier une éventuelle troisième voie?
Soyons clair, le remboursement intégral est pratiquement impossible. Mais il ne faut jamais dire jamais, rester ouvert à la discussion et, si une autre solution est viable, nous la prendrons en compte.
Baselworld est déjà considérablement fragilisé par le départ de Swatch Group, les tensions avec les marques restantes, les changements structurels de l’industrie… Si l’on cumule les profits tirés par MCH de Baselworld ces vingt dernières années, on imagine facilement qu’on est bien au-delà des 18,36 millions dont on parle. Ne faudrait-il pas simplement tirer un trait dessus, s’éviter de fastidieuses négociations et passer à l’édition 2021?
L’année passée, MCH a investi plus de 10 millions dans le nouveau modèle de Baselworld malgré une situation financière compliquée en raison des changements évoqués dans votre question. Cette année, nous avons remis un peu moins de 10 millions. En parallèle, nous avons réduit le prix des mètres carrés et donc perdu du chiffre d’affaires. En plus, nous avons perdu un grand nombre de stands avec le départ de Swatch Group. J’estime qu’en allant bien au-delà des conditions générales, les deux propositions sont, dans le contexte actuel de Baselworld, plus que correctes.
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L’an dernier, Baselworld et le salon de Genève avaient enfin réussi à s’accorder sur des dates, fin avril, pour les cinq prochaines années. Pourtant, votre édition 2020 a été repoussée en janvier 2021 alors que Genève, qui déplore avoir appris votre décision via un communiqué de presse, reste en avril 2021. N’est-il pas invraisemblable que le dialogue soit si difficile entre vos deux équipes?
Entre le Nouvel An chinois, les manifestations de pierres précieuses, le ramadan, les carnavals, les autres salons, la location des halles… ces dates, c’est un vrai casse-tête. Mais c’est vrai, il est essentiel que les deux événements se coordonnent le mieux possible. C’est bénéfique pour tout le monde. Fabienne Lupo (présidente de la fondation qui organise le salon genevois) et moi avons, semble-t-il, une lecture différente des échanges que nous avons eus courant février. Mais qu’importe, la situation est telle qu’elle est. Notre choix du mois de janvier n’est que pour 2021. Nous pensons toujours qu’une coordination doit se rétablir le plus vite possible.