Il y avait foule. Plusieurs dizaines de journalistes faisaient le pied de grue devant le stand Samsung à Baselworld jeudi. Pour la première fois de la longue histoire de la foire horlogère, un géant de l’électronique venait faire la promotion de ses montres connectées. Si Yh Lee, vice-présidente exécutive du groupe sud-coréen, reconnaissait se sentir un peu «étrangère» en ces lieux, elle tenait à préciser qu’elle avait été «extrêmement bien accueillie».

La participation de Samsung à la grand-messe de la montre est un signe qui ne trompe personne: qu’on le veuille ou non, les smartwatches ont trouvé leur place dans le paysage bâlois. En 2015, année de lancement de la montre connectée d’Apple et d’un engouement mondial pour ce phénomène, les visiteurs avaient surtout entendu des annonces. Et, parfois, aperçu des prototypes.

«Tout le monde veut m’en parler»

En 2017, quelque chose a changé. Dès l’entrée du salon, les visiteurs tombent presque nez à nez avec la deuxième génération des montres connectées de TAG Heuer. Plus loin, ils entrent dans l’univers de Swatch Group, qui vient d’annoncer le développement d’un écosystème connecté avec le Centre Suisse d’électronique et de Microtechnique (CSEM). François Thiébaud, patron de Tissot, l’une des marques phares du groupe biennois, débute son entretien avec Le Temps en soupirant: «Tout le monde veut me parler de montres connectées».

Si tout le monde en parle à nouveau, c’est parce qu’une deuxième vague est en approche. Ce sont des smartwatches plus matures, mieux conçues, plus pertinentes. Celles de Tissot sont attendues pour fin 2018. «Il ne fallait pas tout de suite s’engouffrer dans quelque chose de nouveau», souligne François Thiébaud. Ses montres «augmentées» seront indépendantes des téléphones portables et devraient coûter «entre 500 et 600 francs».

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C’est le même prix – 495 dollars – auquel seront lancées les montres connectées de Movado cet automne. Le groupe américain vient à ce titre d’annoncer un partenariat avec Google. Le numéro deux de Movado, Ricardo Quintero, l’assure: les premières versions de montres connectées vont naturellement souffrir de la comparaison avec cette deuxième génération.

A Baselworld, en face du stand de Tissot, Breitling accapare une autre partie de l’attention avec son gigantesque aquarium suspendu. La marque de Granges (SO) avait lancé en 2015 un modèle connecté capable de communiquer avec le téléphone pour certaines fonctions. «C’était une bonne décision», soutient Jean-Paul Girardin. Sans donner de chiffres, le vice-président assure que les ventes de ce modèle sont «encourageantes», même s’il s’agit d’une pièce à quartz qui coûte 8490 francs. Un prix «audacieux», reconnait-il, au regard des autres offres.

Rester une vraie montre

En 2017, Breitling n’a pas lancé de nouvelle version. Mais «nous allons continuer sur notre lancée, tout en restant dans notre gamme d’instruments pour professionnels. L’essentiel, c’est que le produit reste utile et facile à utiliser. Nous voulons aussi que cela reste une vraie montre, avec des aiguilles», précise Jean-Paul Girardin.

Chez Movado, Ricardo Quintero, va dans le même sens. «Elles doivent être tout de suite reconnaissables. Personne ne doit se demander de quelle marque il s’agit», dit-il en brandissant un prototype largement inspiré de son modèle phare, la Movado Edge.

Samsung aussi revendique cette affiliation avec les montres traditionnelles. L’objectif est de mélanger les deux univers, comme l’a répétée Yh Lee, jeudi: «Nous voulons faire le pont entre le meilleur de la technologie et le savoir-faire helvétique».

Deux ans après de premières tentatives, les montres connectées semblent donc avoir gagné en maturité. Mais, selon Ricardo Quintero, elles sont loin d’avoir atteint l’âge adulte. Que ce soit en termes de technologie, d’indépendance ou de distribution.

Des détaillants à convaincre

François Thiébaud ressent d’ailleurs déjà une certaine réticence chez les détaillants horlogers. Ces derniers ne sont pas préparés ni formés pour présenter ces produits à leurs clients. Et, plus important, ils craignent d’accumuler des stocks qui seraient trop vite rendus obsolètes par de nouvelles versions. Du côté de Movado, on n’hésitera pas à briser le tabou de la vente dans les commerces d’électronique. «Si les clients sont d’accord, nous le sommes aussi», assène son numéro deux.

Même si elle reste encore largement perfectible, la montre connectée semble offrir au moins une certitude à ceux qui la feront grandir. Chez Tissot, Breitling ou Movado, les smartwatches généreront toujours une part minoritaire du chiffre d’affaires. C’est un produit complémentaire, répètent nos interlocuteurs.

D’ailleurs, à l’instar de TAG Heuer, Movado travaille sur un programme qui incite les acheteurs de montres connectées à acquérir une «vraie» montre dans un second temps. Une façon de transformer l’essai, de conserver les poignets conquis par la montre connectée, mais qui ne l’auraient peut-être pas été par des montres traditionnelles. Une façon, somme toute, de passer de l’adolescence à l’âge adulte.