Malgré les vents contraires, Swatch Group garde le cap. Les résultats annuels 2016 de Swatch Group publiés jeudi font état d’un fort recul. Ses ventes ont chuté de 10,6% à 7,55 milliards de francs, son bénéfice net de 47% (593 millions) et sa marge opérationnelle est tombée à 10,7% (–44,5%), soit le plus bas depuis 1997 (Lire notre article sur les résultats). Mais qu’importe, le patron du groupe biennois ne modifie pas sa stratégie d’un iota: miser sur le long terme et préserver les emplois quitte à voir son bénéfice s’effriter.

Le Temps: Pour l’année à venir, vous prévoyez une «croissance saine, en monnaies locales». Qu’est-ce qui vous rend si optimiste?

Nick Hayek: Prenez la Chine continentale, par exemple. C’est un marché où nous sommes les leaders et qui, pour nous, fonctionne magnifiquement bien. En novembre, nos ventes y ont progressé de 5%. En décembre, de 20%. Et en janvier de 50%. Et nous voyons aussi une autre tendance arriver, cette fois aux Etats-Unis. L’objectif de Donald Trump est de réindustrialiser son pays. Cela devrait générer davantage de richesse pour la classe moyenne et donc améliorer leur pouvoir d’achat. Si les instruments qu’il choisit pour y parvenir sont les bons, cela est bien entendu une autre question.

– L’élection de Donald Trump est donc une bonne chose pour l’industrie horlogère suisse?

– C’est même une opportunité. Et pas seulement pour l’horlogerie suisse, mais pour tous les produits de masse. Faites la comparaison: la Chine et l’Inde ont tous deux une population de plus d’un milliard d’habitants. Pourquoi est-ce que l’on réalise une solide croissance en Chine et des ventes minuscules en Inde? Parce qu’en Inde, il y a soit des riches, soit des pauvres mais pas de vraie classe moyenne. La Chine, elle, mène cette politique de création d’une vraie classe moyenne. Et si le gouvernement de Donald Trump arrive à renforcer la classe moyenne, cela pourrait même renforcer le dollar, ce qui est une bonne chose pour nous. Dans cette optique, mais pas seulement et en tenant compte de l’accélération des ventes en Chine, je prévois une croissance d’entre 7 et 10% de nos ventes en 2017.

– A propos de l’emploi. En 2016, vous avez biffé 600 postes…

– Non, je n’ai pas biffé un seul poste. Ce sont des fluctuations naturelles. C’est tout à fait normal dans un groupe qui compte 35 000 personnes. Il est aussi tout à fait normal que, dans le contexte de l’an dernier, nous prenions un peu plus de temps avant de peut-être remplacer tous les départs (spontanés ou en retraite). Mais je peux vous assurer que tous les postes ont été maintenus.

– Donc vous maintenez votre politique de préservation de l’emploi à n’importe quel prix? Vous n’allez pas finir par lâcher?

– Mais bien sûr que non. Nous voyons bien que l’attrait pour les montres suisses dans le monde est intact. Je reçois même déjà des appels de marques tierces qui veulent de nouveau commander plus de mouvements et de composants. Dans trois mois, vous verrez, nos clients vont rouspéter car ils n’auront pas assez de livraisons. Certes, notre bénéfice a chuté, mais c’est uniquement à cause de nos charges opérationnelles. Alors oui, nous payerons un peu moins de dividendes et nous allons réduire les bonus, mais nous n’allons pas toucher à l’emploi.

– Vous évoquez les marques tierces… En octobre dernier, dans un communiqué revenant sur une décision de la Comco, vous affirmiez que «des clients importants comme Sellita ou Tudor» avaient considérablement réduit leurs commandes chez vous. Pourquoi pointer ces deux marques du doigt?

– J’ai mentionné ces deux marques parce que d’abord, c’est vrai, et qu’ensuite, leur manière de faire est inacceptable. Cela témoigne d’une certaine arrogance. Du jour au lendemain, Sellita a annoncé qu’elle supprimait 95% de ses commandes. Tudor, de son côté, a simplement annulé ses achats sans aucune envie d’explications. C’est un peu triste de voir deux sociétés qui se disent industrielles et qui affirment fabriquer tout par elles-mêmes se comporter de cette façon. Plusieurs autres marques ont aussi annulé des commandes, mais elles nous ont appelés pour essayer de trouver des solutions.

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– Que leur répondrez-vous s’ils veulent revenir acheter des mouvements chez vous ?

– Avec plaisir. Nous ne cherchons pas à nous venger. Comme le disait mon père, l’industrie horlogère suisse est comme une flotte de navires. C’est vrai que le Swatch Group est un porte-avions, mais nous avons aussi besoin de toute la flotte pour avancer. Nous n’avons pas de problèmes avec nos concurrents et restons en très bons termes avec, par exemple, les équipes techniques du groupe Rolex (propriétaire de Tudor, ndlr).

– En 2016, l’actionnaire du groupe Richemont Johann Rupert a pris des décisions fortes. Outre d’importantes suppressions d’emplois, il a aussi restructuré tout le comité de direction de son groupe et remplacé les directeurs de certaines marques (Piaget, Vacheron Constantin, Jaeger-LeCoultre, etc.). Est-ce que vous envisagez des mesures de ce genre?

– Non. Comme vous le savez nous avons des cultures différentes. Chez Swatch Group, si des résultats sont moins bons pour certaines marques, nous essayons de voir comment le groupe peut les aider alors qu’ailleurs, on a parfois l’impression que le bénéfice à court terme compte davantage.

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- Toujours à propos de Richemont… Vous avez signé un accord de livraison de mouvements pour après 2019 avec ce groupe. Ce contrat porte sur quelle durée?

- Oui, nous étions d’ailleurs fiers qu’ils communiquent là-dessus. Nous n’avons pas seulement signé de contrats avec eux, mais aussi avec d’autres marques suisses. Je vous rappelle qu’à partir de 2020, nous serons libres de livrer des mouvements à qui nous voulons. Et nous serons libres sur les quantités, les conditions et les prix. Alors nous pouvons faire des contrats avec qui nous voulons. Richemont a toujours été loyal avec nous, alors nous avons signé ce contrat. Pour répondre à votre question, c’est sur du long terme. Et chez Swatch Group, le long terme, ce n’est pas six mois, ni douze mois, ni une année, ni trois ans. Mais c’est davantage.

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– Certains disent que l’emblématique patron de Longines Walter Von Kaenel prendra sa retraite cette année…

– Je comprends que quelques-uns de ses concurrents espèrent cela. Walter est formidable. Durant toute la période que l’on vient de traverser, il a même renforcé la position de Longines. Quand il sort de l’avion, il ne va pas dormir, il commence par aller voir tous ses points de vente. S’il veut rester travailler jusqu’à 90 ans et qu’il s’amuse, j’en serai ravi.


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