Perspectives
A l’occasion de la conférence Horizon, organisée ce mardi à l’IMD, «Le Temps» consacre une série d'articles à l'économie de demain. Ce dernier volet se penche sur les ambitions grandissantes de la Genève horlogère et sur la «semaine de la montre» qui devrait voir le jour prochainement au bout du lac

Le potentiel du Big data, la fin des taux zéro, une Genève encore plus horlogère... A l’occasion de la conférence Horizon, organisée par Le Temps ce mardi 6 février à l’IMD à Lausanne, nous vous proposons une série d'articles consacrés aux thématiques et aux tendances qui dessineront l’économie suisse et internationale de demain.
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Ce journaliste asiatique semblait un brin désemparé. Aperçu debout, immobile, à l’entrée du Salon International de la haute horlogerie (SIHH), il ne reconnaissait visiblement pas la manifestation à laquelle il était habitué. On peut le comprendre; par rapport aux éditions précédentes où, dès son entrée, le visiteur faisait face aux stands des marques horlogères, le hall d’accueil avait été complètement réorganisé.
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Vue de l’extérieur du biotope horloger, cette mue du SIHH peut paraître anecdotique. En fait, l’agrandissement et la montée en puissance de ce rendez-vous de janvier en dit long sur les ambitions de la Genève horlogère. Du côté du salon, on peut en effet s’attendre à voir encore grandir la manifestation avec, en ligne de mire, la trentième édition du SIHH en 2020. Mais la haute horlogerie pourrait aussi déborder sur la ville entière à travers la mise en place d’une «semaine de l’horlogerie» dont les contours restent à être définis.
A l’origine, une réponse à Bâle
Le SIHH, d’abord. La manifestation est organisée par la Fondation de la haute horlogerie (FHH), qui a été créée par Richemont. Lancée en 1991 par Cartier, ses cousines du groupe de luxe et certains indépendants comme Audemars Piguet, sa mission était de «soutenir le rayonnement et le développement de l’horlogerie de luxe européenne». Et, comme le rappelle encore le professeur à l’Université d’Osaka, Pierre-Yves Donzé, dans son ouvrage L’invention du luxe (Ed. Alphil), il s’agissait d’une réponse directe à la Foire de Bâle qui existe, elle, depuis le début du XXe siècle.
«Richemont a eu fin nez, estime l’historien. A cette époque, à Bâle, les horlogers parlaient surtout de leurs nouveautés techniques. Richemont a plutôt eu envie de mettre en avant les montres comme des produits de luxe. C’était courageux car, en 1991, le concept de «haute horlogerie» n’existait simplement pas…» Pierre-Yves Donzé n’hésite pas à parler d’un «cas d’école» de réussite marketing.
Capacité d’adaptation
«Le but du salon est de répondre aux besoins de ses exposants. Ces dernières années, leurs besoins ont évolué. Nous devons donc accompagner ces changements», note pour sa part Fabienne Lupo, présidente du salon. Un exemple: initialement, les marques utilisaient le salon pour s’adresser aux détaillants, leurs clients directs. «A l’époque, la majorité des ventes passaient par des intermédiaires. Aujourd’hui, cela ne représente plus que 50% et le salon doit s’adapter à cette nouvelle réalité», ajoute Fabienne Lupo.
Dans la droite ligne de cette «mue», la formule de cette année mettait notamment l’accent sur les nouvelles technologies. Et différentes conférences étaient organisées au sein d’un auditorium situé à l’intérieur du périmètre. «Le salon est devenu plus culturel. Il ressemble aujourd’hui davantage à une plateforme éducative qu’à un rendez-vous de professionnels de l’industrie», décrit Fabienne Lupo.
Adaptation payante
Cette capacité d’être à l’écoute des besoins des marques s’avère payante. Non seulement le nombre de visiteurs est en croissance constante (+20% à 20 000 en 2017) mais, autre signe du succès grandissant de la manifestation, les marques se pressent pour la rejoindre.
Cette année, cinq nouvelles sociétés – parmi lesquelles la division horlogère d’Hermès ou Ferdinand Berthoud, cousin éloigné de Chopard – faisaient leur entrée au SIHH pour un total de 35 maisons présentes. Selon des rumeurs insistantes, de nouvelles grandes marques (notamment françaises) devraient encore s’installer en janvier prochain à Palexpo. «Il y a une forte demande pour rejoindre le SIHH», constatait la direction de Richemont lors d’une rencontre informelle au début de la manifestation.
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Que prépare le SIHH pour son trentième anniversaire? Sans trop en dévoiler, Fabienne Lupo estime que le salon sera cadencé différemment pour répondre aux différents besoins. «Nous nous adressons à des clients VIP, à la presse, aux clients professionnels et au grand public. Ce sont quatre audiences qui ont des envies et des besoins différents et nous envisageons différentes manières d’y répondre aux mieux», esquisse-t-elle pour l’instant.
Foire de Bâle en déroute
Face à ce navire en pleine accélération, la Foire de Bâle, plus que centenaire, semble en déroute. En 2018, la manifestation qui se tient traditionnellement au mois de mars verra le nombre de ses exposants s’effondrer de plus de moitié, passant de 1300 à «600 ou 700». Parmi ces désistements, on dénombre les sous-traitants de l’arc jurassien, qui ne se sentaient plus les bienvenus à Bâle et ont fait bloc pour quitter la manifestation. Ils prévoient de créer leur propre événement à La Chaux-de-Fonds aux mêmes dates (fin mars).
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On dénombre aussi des dizaines de marques étrangères pour qui l’investissement bâlois ne «fait plus sens» et de nombreux petits horlogers suisses qui fustigent «l’arrogance» des organisateurs. En réponse à ces reproches, ces derniers disent travailler sur «des approches conceptuelles pour les éditions à venir» et prévoient de s’adresser aux «acteurs forts de la branche» en leur offrant une plateforme leur permettant de «renforcer leur position». C’est justement le grand atout de Bâle: tant que les géants de l’industrie comme Rolex, Swatch Group, Patek Philippe ou LVMH continueront de soutenir la manifestation, Baselworld restera insubmersible malgré son repositionnement laborieux.
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Une «fête de l’horlogerie» à Genève
Voilà pour les salons. Genève, maintenant. Car la haute horlogerie devrait prochainement déborder sur l’ensemble de la ville du bout du lac. Selon différentes sources, une grande «fête de l’horlogerie» se prépare actuellement en différents lieux de la ville. Mais les contours exacts de cette semaine thématique, destinée avant tout au grand public, doivent encore être dessinés – aucune date n’a par exemple encore été arrêtée (vraisemblablement en novembre), ni même si cela avait lieu encore cette année ou seulement la prochaine. L’événement promet quoi qu’il en soit de toucher un grand nombre d’acteurs, publics comme privés, et ambitionne de réunir «toutes les bonnes initiatives qui sont réalisées autour de l’horlogerie», détaille un participant à ces discussions préliminaires.
Contacté, Pierre Maudet n’entend pas encore entrer dans les détails encore confidentiels de ce projet. En revanche, tout en se défendant de vouloir «tailler des croupières» à Bâle, le conseiller d’Etat genevois en charge de l’économie ne cache pas vouloir «mieux rythmer l’année de la Genève horlogère» et confirme des discussions avec les différents partenaires.
Mais il fait face à une difficulté de taille: certains acteurs genevois incontournables restent des habitués de la Foire de Bâle. Ils rechignent à participer au Grand Prix de l’horlogerie de Genève et pourraient se montrer réticents à prendre part à de telles «semaines horlogères». Pas de quoi inquiéter Pierre Maudet. «J’ai des discussions régulières avec Rolex et Patek Philippe qui me permettent de tester leur perméabilité à de nouvelles idées», explique-t-il simplement.
Le journaliste asiatique qui reviendra à Genève ces prochaines années n’est certainement pas au bout de ses surprises.