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Connu comme le loup blanc
Actif en tant qu’indépendant depuis les années 1970, Arkan* a été et est derrière un nombre incroyable de sociétés, toutes liées à l’horlogerie, dont la majorité a fini en faillite. Ses premiers passages devant la justice remontent à 1977, à Genève, et sont liés aux conditions de travail jugées calamiteuses qu’il infligeait à ses employés. Entre 1982 et 1983, l’homme est accusé d’avoir subtilisé 300 kilos de métaux précieux à ses associés. Sa fuite et le mandat d’amener international lancé à son encontre par le Ministère public genevois ont fait la une de la presse régionale.
Mais à chaque fois Arkan rebondit. Il revient notamment sur le devant de la scène dans les Montagnes neuchâteloises à la fin des années 1990 en lançant la production de tourbillons. Une société qui existe toujours, mais qui est en stand-by depuis longtemps si on en croit son site internet. Connu comme le loup blanc dans le milieu horloger, on le retrouve aujourd’hui encore au Registre du commerce, derrière un certain nombre d’entreprises.
Grande marque sur la liste des victimes
Personne ne souhaite voir son nom publié, mais dans le microcosme de l’horlogerie, pas un professionnel ne croit que l’homme dispose d’un nombre aussi important de machines. Et surtout, ceux qui ont vu celles qui sont encore dans ses locaux sont unanimes: elles sont complètement dépassées. «Il n’a aucune machine moderne, elles sont bricolées avec des bouts de ficelle», note l’un d’eux, tout en précisant qu’il ne semble plus y avoir d’activité à la manufacture, où les stores demeurent clos, depuis un certain temps déjà. Plus grave encore, les acteurs de la branche que Le Temps a interrogés sont à peu près tous persuadés que l’homme a remonté plus ou moins la même arnaque qu’en 2007. La victime, alors, n’était autre qu’une prestigieuse marque horlogère, appartenant à un grand groupe. Elle avait acquis pour plusieurs millions de francs un parc de machines censées lui permettre de fabriquer ses propres mouvements. Au lieu de cela, celle-ci s’est retrouvée avec des outils de travail incomplets et inutilisables. Dans le milieu, il se murmure que si cette affaire n’a jamais fini devant la justice, c’est que ladite marque, honteuse de s’être ainsi fait berner, a préféré perdre quelques plumes plutôt que son honneur sur la place publique.
Un dernier coup de maître
Aujourd’hui âgé de plus de 80 ans, l’homme pourrait être en train de tenter son ultime coup en faisant miroiter aux investisseurs français de Aiôn Group les mêmes fausses illusions: produire leurs propres mouvements en grande série. Toutes les personnes, actives à différents niveaux de la production horlogère, contactées par Le Temps sont catégoriques: il est absolument impossible de monter une chaîne de fabrication capable de sortir 400 000 mouvements en trois ans à peine. Et encore moins avec les outils que pourrait leur vendre le propriétaire de la manufacture concernée. C’est pourtant ce que vise Céline Guth, directrice générale déléguée d’Aiôn Group et ses associés.
Machines inventoriées
En ce qui concerne les casseroles d’Arkan, l’entrepreneuse affirme qu’il a fait preuve de transparence. «Il nous a informés de ses succès, mais également de ses échecs. Nous ne sommes probablement pas au courant de tout, mais cela ne nous regarde pas. Nous achetons l’outil industriel et il n’aura aucune part dans le groupe.» Céline Guth est également au courant de l’affaire concernant la grande marque horlogère, tout comme de ses démêlés judiciaires avec un blogueur horloger. Quant à l’existence et à l’état des machines, la directrice générale est on ne peut plus claire. «Nous avons vu l’outil industriel sur site en Suisse. Un commissaire aux apports a listé et daté toutes les machines. Nous savons ce que nous achetons.» Elle reconnaît qu’il ne s’agit pas de la dernière technologie et qu’un certain nombre d’entre elles devront faire l’objet d’une révision complète. «Ce ne sont pas des outils numériques, ils sont anciens, mais fiables», souligne Céline Guth.
Le «Swiss made» trop fort
Elle balaie également tous les doutes émis par les professionnels de la branche helvétique quant aux objectifs affichés. «Nous laissons le temps faire son effet, et démontrerons le sérieux de notre projet avec nos premiers mouvements.» Un optimisme qui laisse sceptique de ce côté-ci de la frontière. «C’est illusoire», se désole un entrepreneur genevois. Et bien qu’il soit lui-même binational, il ne croit pas un seul instant que l’horlogerie française puisse se positionner comme un acteur majeur. «Ça ne fait pas de sens, le «Swiss made» a une telle force sur le marché que personne ne voudra des mouvements français.» Pour autant que ceux-ci voient une fois le jour.
* Nom connu de la rédaction