L’affaire est dans le sac pour Richemont. Le numéro deux mondial du luxe a annoncé mercredi en fin de journée l’acquisition de la totalité des parts de la marque belge Delvaux, spécialiste de la maroquinerie. La société fondée en 1829 était contrôlée depuis 2011 à 80% par les frères milliardaires hongkongais Victor et William Fung et Temasek, le fonds souverain de Singapour. L’ancien actionnaire majoritaire depuis 1933, la famille Schwennicke, conservait encore 20% de la société.

Dans son communiqué, le groupe genevois indique que cette acquisition «positionnera Delvaux pour sa prochaine étape de développement, en lui permettant de tirer parti de la présence mondiale et des capacités numériques du groupe, pour développer ses opportunités omnicanales et l’engagement de ses clients».

Le montant de la transaction, estimé entre 250 et 400 millions d’euros (275 à 330 millions de francs) par différents analystes, n’est pas dévoilé. Richemont précise qu’elle n’aura «aucun impact financier significatif» sur ses résultats annuels.

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Société en crise

Delvaux a souffert ces derniers mois de la crise sanitaire et de la réduction du tourisme. Son chiffre d’affaires, estimé à 120 millions d’euros avant le covid par la banque Vontobel, aurait plongé de 40% l’an dernier, selon le site internet du quotidien économique belge L’Echo. Il précise que «70% des ventes de la marque sont à imputer à des acheteurs chinois».

Les rumeurs d’une possible vente circulaient depuis le début de l’année, indique Vontobel dans une note publiée jeudi, précisant que Richemont aurait fait une première offre en janvier. Delvaux – qui dispose de près de 50 boutiques – avait annoncé le mois suivant un plan de restructuration prévoyant la suppression de 26 emplois sur un total d'environ 300.

Un rachat qui interroge

Analyste au sein de la banque zurichoise, Jean-Philippe Bertschy indique au Temps que ce rachat soulève des interrogations d’un point de vue stratégique: «Richemont perd de l’argent depuis des années dans le secteur de la mode et de la maroquinerie. Le groupe a revendu le maroquinier Lancel pour 35 millions d’euros en 2018, et l’on peut s’étonner de le voir réinvestir dans ce domaine aujourd’hui.»

Ce d’autant plus que Delvaux dispose «d’un assez bon héritage», mais pas de l’aura des poids lourds que sont Louis Vuitton et Dior (LVMH), Chanel ou Hermès. «Ces marques disposent d’une force de frappe commerciale et d’une distribution redoutable, et sont fortement engagées avec les millennials et la génération Z. C’est un vrai challenge pour Richemont d’aller les attaquer sur leur terrain», poursuit l’analyse, qui constate que les groupes de luxe français LVMH et Kering n’ont pas jugé nécessaire de couper l’herbe sous le pied du groupe genevois.

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Chez Bernstein, Luca Solca partage l’avis que «Delvaux est une belle marque, avec un positionnement élevé en accord avec les autres marques de Richemont». Mais il rappelle également que le maroquinier belge a perdu de l’envergure ces cinq dernières années, notamment par manque d’innovation dans ses produits.

Il se montre également circonspect quant aux impulsions que le groupe genevois peut donner à son nouveau poulain: «Richemont a un problème de taille critique dans la maroquinerie et la mode et peine à attirer les meilleurs managers dans ce domaine. Ce rachat n’y changera rien, alors que le marché attend que des solutions soient trouvées.»

Trois scénarios pour Richemont

Pour Luca Solca, trois options se présentent à Richemont: «La première est de vendre toutes ses activités mode et maroquinerie pour se concentrer sur la joaillerie et l’horlogerie, ce qui ne semble pas envisagé au vu de ce rachat. La deuxième serait d’acheter une marque de taille moyenne qui devienne une vitrine pour le soft luxury [mode, accessoires] du groupe. On peut penser à Prada et Moncler, mais elles ne sont pas sur le marché. La seule solution qui reste pour créer de la valeur pour les actionnaires serait une fusion avec Kering, qui pourrait compenser les faiblesses de Richemont dans la mode et la maroquinerie tout en bénéficiant de sa force dans l’horlogerie et la joaillerie. Cela permettrait aussi de donner un coup de fouet Yoox-Net-A-Porter, la plateforme de vente du groupe dédiée à la mode.»

Evoquée à plusieurs reprises ces derniers mois, cette piste a été écartée par le président et actionnaire majoritaire de Richemont, Johann Rupert, lors de l’assemblée générale du groupe en mai dernier.

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En conclusion, Luca Solca relève que «Richemont parvient à surprendre le marché par des choix idiosyncratiques d’allocation du capital». Il estime que ce rachat n’aura pas d’impact sur le titre, les investisseurs se focalisant davantage sur les bonnes performances des marques joaillières du groupe, Cartier et Van Cleef & Arpels en tête. A midi jeudi, l’action de Richemont s’échangeait à 112,45 francs, en hausse de 0,45% par rapport au précédent cours de clôture.