Les sous-traitants horlogers ne cèdent pas au catastrophisme mais restent prudents face à la chute des volumes des exportations de montres suisses. Entre janvier et juillet, le nombre de pièces envoyées à l’étranger a chuté de 30,4% par rapport à la même période de 2019, à un peu moins de 7 millions d’unités, selon les statistiques mensuelles de la Fédération de l’industrie horlogère suisse publiée jeudi, soit 3 millions de montres en moins. Un niveau comparable à celui du milieu des années 1940.

Ce chiffre contraste avec les exportations de garde-temps en valeur, qui ont dépassé leur niveau d’avant-crise de 0,8%, à 10,1 milliards de francs, durant la même période. Une progression principalement due au haut de gamme, au-dessus de 3000 francs à l’export (à partir de 6000 francs pour le client final). En juillet, les exportations ont augmenté de 7,6% sur deux ans en valeur, à 2,05 milliards de francs, mais ont diminué de 17,5% en volumes. Autrement dit, les montres les plus chères trouvent toujours preneur, tandis que les gammes inférieures souffrent encore.

Lire aussi: Les exportations horlogères franchissent la barre des 2 milliards en juillet

Des stocks à reconstituer

Moins de volumes signifie a priori moins de travail pour les fournisseurs de composants horlogers. Un fabricant de cadrans de l’Arc jurassien indique au Temps, sous couvert d’anonymat, que le chômage partiel n’a plus cours au sein de son entreprise, mais que les niveaux de 2019 ne sont pas atteints: «Cette baisse se ressent encore sur les entrées de commandes, mais les effets de la reprise sont là et la situation n’est pas préoccupante. Il est cependant clair que des sous-traitants souffrent encore actuellement et que certains vont disparaître.»

D’autres constatent qu’après une année 2020 marquée par l’arrêt brutal des commandes par de nombreuses marques horlogères, la tendance est aujourd’hui bonne, à l’instar du patron d’Econorm, Anthony Schwab, qui fabrique des glaces saphir à Saint-Imier (BE): «Au plus fort de la crise, la plupart des marques ont liquidé les stocks de composants accumulés pendant des années, et elles doivent maintenant les reconstituer. Cela se traduit par des volumes de commande importants. Une meilleure maîtrise des stocks au sein des marques permettrait toutefois de limiter cet effet «yoyo» que l’on observe à chaque crise et qui favorise l’incertitude.»

Inquiétudes à moyen et long terme

Patrick Linder, directeur de la Chambre d’économie publique du Jura bernois, observe lui aussi une tendance générale positive. Mais il prévient que la baisse des volumes reste «un point d’attention majeur» pour cette région dont l’activité économique dépend fortement de l’horlogerie.

Selon lui, l’érosion du milieu de gamme mécanique fait courir un réel danger à l’industrie de l’Arc jurassien à moyen et long terme, de même que la raréfaction des donneurs d’ordre: «Il s’agit aujourd’hui principalement de quelques grandes marques [Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille, ndlr] qui ont un nombre de fournisseurs limités. Sans efforts de longue haleine de la branche pour rendre plus attractive l’horlogerie mécanique des gammes de prix inférieures, la pérennité de nombreux sous-traitants et fournisseurs sera mise en question.»

Lire également: Les horlogers inégaux face à la reprise

Du côté de la Convention patronale de l’industrie horlogère (CPIH), le secrétaire général François Matile relève que la baisse des volumes n’est pas un phénomène nouveau, mais qu’il est de plus en plus accentué: «Il est très difficile de faire des projections à long terme. Je constate cependant que les suppressions d’emplois massives redoutées depuis le début de la pandémie dans la sous-traitance ne se sont pas produites pour l’instant et que la situation est plutôt stable.»

Dans quel délai peut-on espérer retrouver les volumes d’avant-crise? «Il faudra attendre au moins dix ans, pour autant qu’on les retrouve un jour», analyse Oliver Müller, expert horloger chez LuxeConsult et blogueur pour Le Temps. En conséquence, il s’attend à ce que la sous-traitance horlogère finisse par subir une hécatombe.

Stagnation des exportations suisses

Prises dans leur globalité, les exportations suisses ont stagné en juillet, à 20,3 milliards de francs, pour un excédent commercial de 4,1 milliards. Le résultat global «a été plombé par le repli du secteur phare des produits chimiques et pharmaceutiques (-0,8%)», a précisé jeudi l’Administration fédérale des douanes dans son communiqué.

Retrouvez tous nos articles consacrés à l’horlogerie