Horlogerie
Le groupe horloger biennois va «laisser expirer» le contrat de licence avec la marque de mode américaine. La direction de cette dernière est jugée imprévisible et les montres de mode «Swiss made» deviennent trop difficiles à vendre

Quatre lignes pour mettre fin à vingt-deux ans de collaboration. Dans un bref communiqué envoyé mardi matin, Swatch Group a annoncé qu’il entendait «laisser expirer» le contrat de licence qu’il détenait avec Calvin Klein à sa date d’échéance – c’est-à-dire «dans un futur proche», selon les mots du groupe biennois.
Cause officielle: «Les récentes turbulences et incertitudes au niveau de la direction de Calvin Klein Inc. New York». CK Watch est la seule des 18 marques que le groupe biennois ne possède pas.
CK Watch and Jewelry, la joint-venture qui existait entre les deux entités, avait été lancée en 1997. On raconte que c’est alors Calvin Klein lui-même qui avait souhaité travailler avec Nicolas Hayek Sr. pour décliner sa marque dans le monde horloger. Et, depuis 2004, également dans la joaillerie d’entrée de gamme. Selon le site internet du groupe, CK Watch confectionne environ 200 modèles de montres différents à destination de 60 pays.
Montres de mode Swiss made
La co-entreprise n’avait pas de grandes ambitions dans la haute horlogerie mais produisait ce que l’on catégorise comme des «montres de mode» vendues entre 100 et 300 francs. Point important: elles ont toujours été labellisées Swiss made alors que ses concurrentes sur ce segment sont généralement fabriquées en Chine.
Conséquence, la compétition fait actuellement rage sur ce segment de prix. Non seulement car il est directement visé par les montres connectées mais également par les autres marques de mode de type Michael Kors (licence du groupe Fossil), Hugo Boss (licence du groupe Movado) ou Daniel Wellington (acteur indépendant). Ce segment a pris de l’importance particulièrement ces dernières années et est l’une des raisons de l’affaiblissement des exportations horlogères du segment d’entrée de gamme.
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Ventes déclinantes
Pour l’analyste de la banque Vontobel, CK Watch réalisait un chiffre d’affaires de 160 millions de francs pour un profit nul. «La décision est expliquée par les incertitudes à la direction de Calvin Klein mais nous pensons aussi qu’elle a été soutenue par les ventes déclinantes de ce segment», écrit René Weber dans sa note matinale.
Historiquement, CK Watch a pu écouler jusqu’à plus d’un million de montres par an, un chiffre tombé aujourd’hui à 600 000 montres, selon les calculs de Morgan Stanley. «La marque a perdu de son attractivité et Swatch Group s’en est désintéressé», juge le consultant Olivier Müller. Et d’ajouter: «La première mission de Swatch Group est de faire tourner un outil industriel. Quand une marque sous licence tombe à quelques centaines de milliers de pièces, cela ne se justifie plus.»
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Interrogé sur les «incertitudes» à la tête de Calvin Klein qui ont conduit Swatch Group à décider de laisser filer cette licence, le géant horloger biennois pointe notamment le changement de directeur intervenu cet été (Cheryl Abel-Hodges a remplacé Steve Shiffman, en poste depuis 2014).
Calvin Klein traverse en effet une zone de turbulences dont l’expression la plus manifeste a été l’embauche à grands frais d’un directeur artistique, Raf Simons, qui ne sera resté en place que deux ans. Il a été remplacé en fin d’année dernière car sa vision artistique du prêt-à-porter entrait en conflit avec les objectifs commerciaux du propriétaire de la marque PVH Corp. Selon des médias spécialisés, l’entreprise a dans la foulée fermé sa boutique iconique sur Madison Avenue en début d’année. Contactée, PVH n’a pas répondu aux questions du Temps.
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Cent employés en Suisse
Interrogé, le groupe qui ne compte désormais plus que 17 marques horlogères dans son portefeuille donne quelques précisions supplémentaires quant aux emplois. CK Watch compte actuellement environ 500 collaborateurs, dont 100 en Suisse. Que vont-ils devenir? «La période de transition peut s’étaler jusqu’à environ dix-huit mois et tout dépendra des intentions de la maison mère Calvin Klein», répond Swatch Group.
Dans une note d’analyste publiée mardi, Morgan Stanley affirme que c’est le groupe Movado qui a déjà signé une reprise de la licence. «Cela paraît logique puisqu’ils cherchent, eux, à exploiter toujours davantage leur réseau de distribution», analyse Olivier Müller. Calvin Klein n’a pas confirmé cette information, ni précisé s’ils entendaient rester ou non sur le segment du «Swiss made».