Le jeudi 12 mai, Le Temps et Le Journal de l’Immobilier coorganisent leur premier Forum Immobilier, à Crissier. Un rendez-vous qui, à la différence de nombreux autres événements sur le thème du logement, s’adresse aux non-initiés que nous sommes tous et durant lequel nous aborderons bien sûr la question de la mauvaise réputation des régies.
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Elles n’ont bien sûr pas la déplorable réputation des cigarettiers. Ou des négociants en matières premières. Il n’empêche, les agences immobilières véhiculent une mauvaise image auprès du grand public. Et ce n’est pas le président de l’Association de défense des locataires (Asloca), Carlo Sommaruga, qui dira le contraire: «Quand le locataire demande une baisse de loyer, c’est non. Qu’on lui refasse une peinture, c’est non. S’il y a de la moisissure, c’est de sa faute… Certaines régies manifestent l’arrogance du pouvoir de l’argent à l’égard des locataires et ne cherchent qu’à faire du profit avec des méthodes abusives.»

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Il en veut pour preuve un sondage publié fin 2021 par son association. Sur 18 000 locataires interrogés, «plus de 70% ont ou ont eu des problèmes dans leur relation de bail» et 82% jugent «plutôt voire très important d’avoir de bonnes relations avec le bailleur, ce qui laisse conclure à une forte dépendance de l’une partie à l’autre du bail». La sécurité du logement apparaît comme «un objet de préoccupation majeure qui se manifeste clairement dans la crainte d’une résiliation; il en résulte une gêne importante pour les locataires». Carlo Sommaruga résume: «Les locataires ont peur des régies.»

«Un cliché auquel il faut tordre le cou»

Les échos sont sans surprise bien différents de l’autre côté du contrat de bail. Pour le secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier, Frédéric Dovat, «cette mauvaise réputation est un cliché qui est repris par l’Asloca mais auquel il faut tordre le cou». Lui aussi avance des chiffres: «Nous avons fait réaliser en 2019 une enquête de satisfaction auprès de 500 locataires vaudois par le biais de MIS Trend. A la question des relations que ces derniers entretenaient avec leur gérance, 64% répondaient qu’elles étaient plutôt bonnes à très bonnes. Un nouveau sondage dont les résultats sortiront sous peu montre que ce pourcentage est aujourd’hui même plus élevé.» Pour lui, les efforts réalisés par les propriétaires durant la crise du covid ont encore amélioré les relations avec leurs locataires.

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Frédéric Dovat évoque également d’autres gestes réalisés en direction des locataires. La section vaudoise de son association a par exemple mis sur pied la Fondation USPI Vaud qui vient en aide aux locataires qui peinent à payer leur loyer à cause «d’un coup du sort». «Nous rattrapons jusqu’à trois mois d’arriérés pour leur permettre de sortir la tête de l’eau. Depuis 2012, nous avons permis à 90 ménages de reprendre pied, décompte Frédéric Dovat. L’Asloca ne fait rien de tel.»

Beaucoup de légendes

Sur le terrain, tout est bien sûr plus nuancé. Fanny Emery est responsable du service gérance et membre du comité de direction de la régie lausannoise PBBG (30 employés). Après huit années passées à gérer des propriétaires et des locataires, elle reconnaît s’être déjà retrouvée à plusieurs reprises à des états des lieux où, «d’emblée, les locataires se braquent car ils ont l’impression que la régie va systématiquement tout leur mettre sur le dos». Elle l’explique notamment par le fait que le métier de gérant d’immeubles n’est officiellement pas protégé: «Tout le monde peut le faire, et donc certains le font mal. Ils mettent tout à la charge du locataire, qui ne connaît pas forcément ses droits, et oublient que le propriétaire a aussi des devoirs… Il y a eu de nombreux abus, c’est d’ailleurs pour cela que la jurisprudence est si importante dans ce milieu.»

Elle affirme que les légendes qui entourent les régies (listes noires de locataires, profession «blacklistée», etc.) restent des légendes. Mais reconnaît également que le tri des 15-20 dossiers qu’elle reçoit en moyenne par appartement vacant se fait certes sur la base de critères concrets (poursuites ou non, salaire, etc.) mais également «au feeling» ou à la suite de recommandations. «Cela reste subjectif, ce qui peut entraîner parfois l’incompréhension du locataire, ce d’autant que la charge émotionnelle que l’on met dans l’endroit où l’on vit est importante.» Le déséquilibre flagrant entre offre et demande dans certaines villes n’améliore bien sûr pas la situation.

Méconnaissance du métier

D’autres raisons sont avancées pour expliquer la mauvaise image des régies. Le marché a lui-même considérablement évolué. Quand Carlo Sommaruga a commencé à défendre les locataires en 1990, une nette majorité des logements en Suisse était en mains de particuliers et pas de fonds d’investissement ou de caisses de pension. «Les propriétaires et les locataires se connaissaient directement et les relations se passaient mieux, se souvient-il. C’est rarement le cas aujourd’hui.»

Michael Trübestein, directeur du master en immobilier de l’Université des sciences appliquées de Lucerne, estime en outre que l’on connaît mal le métier de gérant. «A l’époque, la mission des agences était claire. Mais avec internet et les petites annonces, trouver un appartement est devenu plus facile et certains se demandent si la commission des régies est toujours justifiée…» Ces dernières touchent généralement moins de 5% du loyer.

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«Peu de gens comprennent vraiment notre métier», abonde dans le même sens Fanny Emery. Elle doit souvent rappeler que les régies ne sont pas propriétaires des immeubles qu’elles gèrent mais ne sont que les intermédiaires entre deux entités qui ont chacune des droits et des devoirs. «Nous sommes considérés comme les méchants de l’histoire parce que beaucoup ont une vision naïve de notre rôle et s’imaginent que l’on touche beaucoup d’argent pour pas grand-chose.» Assainissement, rénovations, gestion du droit du bail, gestion des sinistres… L’entretien d’un immeuble et sa location sont pourtant un travail à plein temps.

L’agence immobilière doit surtout jouer ce délicat rôle d’équilibriste entre ses deux clients: le propriétaire et le locataire. «Quand le propriétaire veut augmenter le loyer et refuse de faire une peinture après dix ans ou quand le locataire ne veut pas payer pour un vitrocéram qu’il a rayé, on doit intervenir pareil. Il est bon de rappeler que les propriétaires et les locataires sont sur un pied d’égalité», estime Fanny Emery.

En fin de compte, certaines régies oublient peut-être parfois simplement que les propriétaires ne sont pas leurs seuls clients. Et que les locataires méritent au moins autant d’égards.