Les buvettes en béton sans charme, entourées de parasols colorés des logos de marques de boissons se font de plus en plus rares sur les pistes de ski. Des cabanons en bois indigène qui servent des bières locales aux nouveaux restaurants ou bâtiments des remontées mécaniques dessinés par des architectes de renom, les infrastructures des domaines skiables ont entamé une mue en Suisse.

Lire aussi: Le futur visage de la Buvette d’Evian

Comme le bâtiment de l’arrivée de la nouvelle télécabine du Matterhorn Glacier Ride sur le Petit Cervin, inauguré en décembre dernier, qui fut le chantier le plus élevé d’Europe. Mais aussi le bâtiment d’Herzog & de Meuron à Chäserrugg (SG), station d’accueil de la télécabine et restaurant dans un style architectural traditionnel, ainsi que leur nouveau projet prévu au sommet du Titlis. Ailleurs, des complexes innovent en rénovant l’existant et en ajoutant de nouvelles fonctions, à l’instar du Galaaxy, à Crap Sogn Gion, dans les Grisons, qui comporte un hôtel, un espace de création et de coworking, un restaurant de 600 m2, ainsi qu’un bar extérieur.

Le projet «Lapin blanc»

Certains font l’objet de concours. C’est notamment le cas du futur centre d’accueil de la vallée des Dappes, en France voisine, projeté pour la saison 2019-2020. Situé dans le massif du Jura, le site se trouve à mi-chemin entre le massif de la Dôle (Suisse) et le massif des Tuffes (France). Né d’une réflexion globale entre les deux pays, l’objectif du projet lancé par la société Télé-Dôle SA, société suisse d’équipements touristiques, a pour ambition de réaliser une station à portée transfrontalière. Futur point d’entrée principal du domaine skiable réuni, il s’inscrit dans un ensemble composé d’un parking, du départ du télésiège existant des Dappes, qui conduit au sommet de la Dôle, d’un télésiège à construire qui permettra la liaison entre les massifs des Tuffes et de la Dôle. Le programme visait un bâtiment conciliant une réflexion architecturale, paysagère et également constructive par l’utilisation du bois de la région, à même d’intégrer la billetterie des remontées mécaniques, un magasin de location d’équipement de sport, une garderie et un restaurant, pour pérenniser le domaine à l’année.

«Le massif de la Dôle représente pour les Genevois et les Nyonnais un accès facile aux pentes enneigées et beaucoup d’entre eux y ont appris à skier. Nous nous sommes imprégnés de ce paysage jurassien très rural pour composer notre projet», analyse Graeme Mann, associé du bureau d’architectes lausannois MCM, lauréat du concours auquel ont participé sept bureaux français et suisses. Après la très remarquée Maison du Sport Vaudois à Leysin, il signe une seconde réalisation contemporaine en bois sur les cimes, qui s’implante de manière harmonieuse et subtile au cœur du nouveau domaine.

Le projet intitulé «Lapin blanc» se caractérise par une volumétrie inspirée des grandes structures aux toitures généreuses, typiques de l’architecture rurale jurassienne. Tirant parti du dénivelé existant, les architectes répartissent le programme des deux côtés du bâtiment entièrement construit en ossature de bois préfabriquée montée sur un socle en béton armé. «On parque en haut, côté accueil et billetterie, et on descend vers le front de neige et la partie restaurant située plein sud par un large escalier protégé à l’air libre, laisse imaginer l’architecte. Comme dans Alice au pays des merveilles, on change de monde en empruntant ce passage qui mène des choses rébarbatives, comme se parquer et faire la queue vers les plaisirs de la glisse, et la contemplation du paysage, dans une transparence absolue, avec des vitrages reliant sol et plafond face à une grande terrasse couverte par l’avant-toit imposant.»


«Ces nouveaux objets reflètent l’évolution du rapport à la montagne»

Inès Lamunière, architecte et professeure EPFL qui s’est penchée sur plusieurs cas de stations de ski, notamment Verbier.

Le Temps: Assiste-t-on à un nouvel élan architectural en altitude?

Inès Lamunière: Il s’agit d’une deuxième vague. La première date des années 1970, en pleine industrialisation du ski dans toutes les grandes stations françaises et valaisannes, notamment à Verbier, avec la station de départ des Ruinettes représentative du style brutaliste, assez futuriste pour l’époque. L’âge avancé de ces infrastructures, l’évolution des modes de vie en rapport à la montagne, le besoin augmenté de confort et une réflexion de mise en valeur des stations à l’année avec des commerces, restaurants, crèches, voire des espaces de travail, motivent une nouvelle génération de petits hubs agréables. Les cabanes d’altitude sont dans le même processus.

En quoi ces objets sont-ils intéressants pour les architectes?

Ils sont des prises de risque, parce qu’ils confrontent leurs auteurs à un paysage naturel reconnu comme extrêmement beau. Y ajouter un élément bâti est un sacré défi, d’où la diversité des réponses plastiques et structurales apportées. Actuellement, on observe soit des stratégies intéressantes de dissimulation ou, à l’inverse, des gestes forts. Il n’y a pas une solution idéale, tout dépend des programmes et des lieux.

Quels sont les exemples qui sortent du lot?

Les Norvégiens ou les Suédois ont beaucoup à nous apprendre sur le thème de l’architecture dans le paysage. Ils travaillent sur des notions de confort, de compréhension du climat environnant à la fois hostile et merveilleux. Dans les Alpes, les nouvelles petites gares d’Arosa sont intéressantes.

Ces projets font évoluer l’expérience de la montagne…

Oui, d’où l’intérêt d’une diversité d’approches. Parfois, des architectures aux formes emblématiques, pourquoi pas un anneau panoramique autour du Säntis? Ou alors de l’extraordinaire dans le camouflage, voire des propositions plus minimales, moins confortables, qui nous pousseraient à réfléchir sur ce que c’est vraiment d’être à 2000 mètres, en ressentant le froid et le vertige. En résumé, des solutions variées qui vont de la bulle climatisée, microcosme parfaitement maîtrisé, à des choses plus ouvertes et exploratoires.