Les Suisses sont nombreux à avoir fui leur appartement lors du semi-confinement pour aller télétravailler dans leur résidence secondaire à la campagne. Une tendance qui pourrait se prolonger puisque les citoyens achètent, ou en tout cas envisagent sérieusement de le faire, dans les petites villes et les zones rurales. Quelles sont les conséquences d’un tel phénomène en termes d’urbanisme, et comment faut-il y réagir? Eléments de réponses avec Emmanuel Ravalet, chef de projet chez Mobil’homme, bureau de recherche dans les domaines de l’urbain et de la mobilité en Suisse et en Europe. Dès février 2021, le docteur en sciences économiques entamera d’ailleurs à l’Université de Lausanne, avec le professeur de géographie Patrick Rérat, une recherche sur les effets rebonds liés au télétravail.

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Le Temps: Quel rôle joue habituellement le télétravail dans le déplacement des populations?

Emmanuel Ravalet: En Suisse, comme dans la plupart des pays européens, ceux qui télétravaillent habitent plus loin de leur entreprise que ceux qui ne télétravaillent pas. Soit ils vont habiter loin parce qu’ils peuvent télétravailler, soit ils télétravaillent parce qu’ils habitent loin. L’impact environnemental n’est donc pas celui que l’on pense: les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites par le télétravail, parce que ces travailleurs qui habitent loin vont quand même au bureau plusieurs fois par semaine. Leurs déplacements longs compensent les émissions «économisées» les jours où ils sont restés à la maison.

On peut observer une tendance à la hausse des achats de logements hors des grandes villes. En êtes-vous étonné?

Il est difficile de savoir si ce phénomène est dû au télétravail, mais nous nous sommes effectivement rendu compte que le semi-confinement était moins bien vécu dans les zones plus denses, et que cela avait eu pour effet une dynamique limitée d’exode urbain vers des zones périurbaines et rurales, avec des achats de résidences principales ou secondaires.

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Comment faut-il réagir face à cette tendance en termes d’urbanisme?

Nous sommes encore loin de voir les villes désertées. Mais les services chargés de l’aménagement du territoire, déjà très impliqués sur ces questions, doivent passer à la vitesse supérieure pour améliorer la qualité de vie dans les villes. Il est possible d’agir notamment sur un apaisement des trafics, la limitation du bruit, une végétalisation des espaces; tout ce qui est susceptible de rendre un logement, un quartier, une ville plus agréable.

Un potentiel désengorgement des grandes villes n’est-il pas une bonne nouvelle?

Je ne crois pas dans l’immédiat à une baisse de la population dans les villes, plutôt à un regain d’attractivité de certains territoires ruraux, notamment via l’augmentation du nombre de résidences secondaires. Ce phénomène peut être renforcé par la possibilité plus grande de télétravailler. Ce peut être positif pour certains territoires périphériques, mais est-ce une bonne nouvelle à l’échelle d’un canton ou d’un pays? Il est nécessaire aujourd’hui d’expliciter les objectifs que l’on souhaite poursuivre au travers du développement du télétravail.

Quels risques pour les villes si les citoyens en venaient à s’en éloigner?

Ce n’est pas pareil de quitter Genève, par exemple, pour un lieu bien desservi par le train ou pour un village plus isolé. L’enjeu est de maîtriser au mieux la mobilité résidentielle pour qu’elle ne se fasse pas trop vers des territoires où il est impossible d’aménager une mobilité multimodale performante. Car, sans alternative, l’usage de la voiture est toujours privilégié, avec des conséquences en termes d’aménagement du territoire (les voitures consomment beaucoup d’espace lorsqu’elles circulent ou lorsqu’elles sont stationnées) et de pollution. Conserver la population en ville permet aussi d’assurer la survie des services et des petits commerces.

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