Le futur visage de la Buvette d’Evian
Immobilier
Des chercheurs de l’EPFL ont consacré un livre à ce fleuron de l’architecture moderne construit par Jean Prouvé. Objectif: dessiner les lignes d’un projet de restauration à même de lui redonner l’aura qu’il mérite

Inaugurée en 1957, la Buvette d’Evian a accueilli pendant quarante ans les touristes et malades des reins attirés par une eau mondialement réputée pour ses vertus. Cet abri ouvert d’environ 74 mètres sur 14 réalisé par l’architecte français Maurice Novarina, l’ingénieur Serge Ketoff et le constructeur Jean Prouvé, figure incontournable de l’ingénierie du XXe siècle, est considéré aujourd’hui comme un chef-d’œuvre de l’architecture moderne et classé au patrimoine historique de France.
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Une buvette icônique
«Les gens se rendaient à la Buvette d’Evian de mai à octobre dans le cadre de leur cure thermale. Pour y boire un verre d’eau et écouter des concerts. Par sa modernité, le bâtiment détonnait dans le paysage, mais aussi par rapport aux équipements antérieurs de la station thermale, témoins de la Belle Epoque, analyse Giulia Marino, collaboratrice scientifique et chargée de cours à l’EPFL. Partiellement transformée avec maladresse lors de la construction des Thermes sur sa partie est dans les années 1980, la Buvette d’Evian est depuis une trentaine d’années désaffectée, hormis un fitness qui a investi l’une des extrémités. Le bâtiment n’ayant plus de fonction claire, les Evianais ont du mal à s’approprier ce lieu, malgré l’intérêt qu’il suscite à l’échelle internationale.»
Propriétaire de la Buvette, l’industriel Danone, et la section Romandie de la Fédération des architectes suisses (FAS) ont mandaté la chercheuse et Franz Graf, directeur du Laboratoire des techniques et de la sauvegarde de l’architecture moderne (TSAM) de l’EPFL pour réaliser une étude approfondie du bâtiment. Objectif: évaluer son potentiel et cibler les interventions architecturales les plus urgentes en vue de sa sauvegarde et de sa mise en valeur. Bilan de ce travail d’investigation, une monographie de près de 300 pages couvrant l’histoire, l’analyse constructive et les recommandations pour la future restauration qui en découlent a été publiée en décembre dernier.
On y découvre notamment les éléments qui font de cette Buvette une icône. D’abord, elle est une synthèse de plusieurs innovations et expérimentations architecturales et techniques de Jean Prouvé, ferronnier d’art de formation, constructeur de génie, dont l’entreprise était en crise et qui devait donc se chercher une nouvelle stratégie. «Le bâtiment introduit par exemple le principe des «béquilles», une structure porteuse asymétrique aussi efficace sur le plan de la statique qu’élégante du point de vue formel. Ces porteurs en acier et en forme d’étoile deviendront ensuite un élément clé des constructions de Jean Prouvé, détaille la chercheuse. La Buvette présente également un mélange de matériaux et un type d’assemblage peu courant pour l’époque (bois reconstitué, bois massif, acier, aluminium et verre). Sa toiture, un système complexe d’éléments en bois et de métal tout en légèreté, est elle aussi une véritable invention, de très grande originalité.» Ce qui fait de cet objet un cas particulier dans l’œuvre de Prouvé et dans la production architecturale du XXe siècle c'est que tous les éléments sont liés les uns aux autres, dans une intelligence constructive rare. Grâce à elle, il reste bien conservé malgré le peu de restaurations effectuées.
«Des pistes pour la revitaliser»
Deuxième volet de l’étude, démarré l’automne dernier et prévu sur un an, le diagnostic vise une série de sondages et d’analyses pour faire un état des lieux technique duquel va se dégager le cahier des charges pour les travaux qui visent en priorité la conservation de l’existant. Par exemple, il s’agit de définir les couleurs originelles des béquilles de Prouvé qui ont été repeintes plusieurs fois, ou encore de vérifier la tenue de certains éléments constructifs.
Les pistes pour revitaliser la Buvette sont nombreuses, selon les chercheurs de l’EPFL. «Il faut comprendre que l’objet est plutôt un abri, un couvert, et non un espace clos, chauffé. Il doit selon nous rester un lieu ouvert vers le parc et le lac Léman, au gré d’animations variées et ponctuelles, conclut Giulia Marino. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir réintroduire l’élément «eau» d’une manière ou d’une autre dans ce bâtiment qui comportait à l’origine une majestueuse fontaine destinée à servir la célèbre eau d’Evian.»
Franz Graf, Giulia Marino, «La Buvette d’Evian, Maurice Novarina, Jean Prouvé, Serge Ketoff, 1955-2018», Infolio, 2018, 296 pages.