Immobilier: alors que l'incertitude domine, la panique n'est pourtant pas encore de mise
L'ŒIL ÉCONOMIQUE
AbonnéCe marché fait face, en ce début d'année, à de nombreuses inconnues. Céder à l'affolement dans ce contexte incertain ne serait toutefois pas la bonne réaction. Car l’éclatement d’une bulle est peu probable

La Suisse échappera-t-elle à la récession? Comment les marchés vont-ils se comporter en 2023? La bulle immobilière va-t-elle exploser? «L'œil économique», le premier supplément du «Temps» de prospective financière réalisé en collaboration avec la «Neue Zürcher Zeitung», prend le pouls de l'économie. Analyses, interviews et conseils d'experts
Il y a de quoi être saisi de tournis. A peine les marchés immobiliers se sont-ils remis des effets de la pandémie qu’ils sont confrontés à une situation géopolitique et économique hors du commun: une guerre sanglante à l’est, un climat en surchauffe au sud et une hausse brutale des taux à l’ouest. Dans le cadre du WEF, à Davos, les leaders mondiaux se sont penchés, en janvier dernier, sur la nouvelle notion de «poly-crise». Les matières premières et l’énergie connaissent des pénuries, et à peu près partout les prix grimpent. Ces hausses se répercutent de manière particulièrement douloureuse sur les coûts de construction. Le spectre de l’inflation est de retour.
Malgré ce contexte difficile, la situation est jusqu’ici restée relativement calme pour les propriétaires immobiliers ainsi que pour les investisseuses et les investisseurs dans ce segment. «Globalement, le marché est resté intact et suffisamment liquide», estime David Schoch, Head of Research & Consulting auprès de la société de conseil en immobilier CBRE. De nombreux acteurs s’adaptent actuellement aux nouvelles conditions-cadres et procèdent à un recalibrage de leurs critères d’investissement. Les incertitudes augmentent pourtant indéniablement.
La remontée des taux est devenue réalité
Economiste chez Credit Suisse, Kerstin Hansen constate, elle aussi, que «l’inflation et les taux en hausse n’ont jusqu’ici que peu affecté le marché suisse de l’immobilier». La résilience du secteur n’est toutefois pas absolue. «Des corrections de valeur seront probablement inévitables à moyen terme», admet Kerstin Hansen. Dans certains segments, l’évolution des prix suggère effectivement déjà un changement des conditions du marché.
Commençons par le marché immobilier résidentiel: la remontée des taux «a mis un terme brutal à l’engouement pour le logement en propriété, déclenché par la pandémie», a annoncé, en janvier 2023, la Banque cantonale de Zurich (ZKB). La hausse des prix est retombée partout à la moitié environ des hausses record enregistrées au début de l’année 2022. Mais «avec +5,7% en croissance annuelle, cette augmentation (des prix des logements en propriété) reste considérable dans le canton de Zurich». Les propriétaires souhaitant vendre au prix fort devront faire preuve de patience avant de trouver des acheteurs intéressés.
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Pour Ursina Kubli, analyste immobilière en chef à la ZKB, c’est surtout la hausse des taux hypothécaires qui aurait freiné la demande de logements en propriété. Pourtant, ni l’évolution des taux ni l’augmentation des prix de l’énergie ne changeraient quoi que ce soit au problème fondamental du marché suisse de l’immobilier: «la pénurie notoire de logements en propriété». Ainsi, les personnes cherchant à acquérir des villas ne sont pas impressionnées par les dernières hausses de taux d’intérêt. «Pour une maison avec un jardin, elles devraient à nouveau mettre la main à la poche lors des prochains trimestres», estime Donato Scognamiglio, directeur général du Centre d’information et de formation immobilières (CIFI).
Pas de krach en vue
Selon Ursina Kubli, l’absorption restera également élevée pour les appartements en location. «Le temps de la surabondance est révolu», affirme-t-elle. Selon une analyse du CIFI, on observe actuellement une baisse de la disposition à payer, en particulier pour les immeubles de rapport. Cela entraînera une tendance à la baisse des prix durant ces prochains trimestres. Le marché réagit ainsi au revirement des taux confirmé par la Banque nationale suisse lors de son dernier resserrement de la politique monétaire peu avant la fin de l’année.
«A cet égard, la correction attendue sur les prix des immeubles de rapport ne correspond pas à un krach, mais à un retour à la normale», précise Donato Scognamiglio. Dans un environnement de taux d’intérêt négatifs, les immeubles de rapport tant convoités s’achetaient à pratiquement n’importe quel prix. Avec des taux d’intérêt directeurs redevenus positifs, les investissements immobiliers doivent de plus en plus s’affirmer face aux autres opportunités de placement, ajoute le chef du CIFI.
Au niveau des transactions pour des objets de rendement et des immeubles commerciaux, les offres des investisseurs étaient récemment nettement moins nombreuses et moins élevées qu’il y a encore un an. «Le temps des taux de capitalisation globalement en baisse et des gains de réévaluation devrait appartenir au passé», estime David Schoch, de CBRE. Sans investissements pertinents, augmentations de loyer ou baisse des coûts, les augmentations de valeur, comme on a pu les voir pendant des années, ne pourront guère plus être justifiées.
Des corrections de valeur seront probablement inévitables à moyen terme, juge Kerstin Hansen, économiste chez Credit Suisse
La remontée des taux, longtemps redoutée sur les marchés immobiliers et financiers, ainsi que la fin de l’argent bon marché ont conduit, l’année dernière, à de violentes secousses sur les marchés des capitaux. Presque toutes les grandes catégories de placements – à savoir les actions, les obligations et les placements immobiliers directs (voir encadré) – ont été touchées. Il n’est donc pas étonnant que les investisseuses et les investisseurs se soient montrés inquiets et aient fait preuve de retenue. Cela est en train de changer. «Avec la fin prochaine de la remontée des taux, la phase de réorientation de bon nombre d’investisseurs pourrait prendre fin, et le secteur immobilier attirer à nouveau davantage de capitaux», présume David Schoch.
La protection contre l’inflation reste un critère central
Le critère principal pour des investissements dans l’immobilier n’est plus d’éviter les intérêts négatifs. Il s’agit bien plus de se protéger contre l’inflation et de couvrir l’exposition aux taux d’intérêt réels. Avec, idéalement, un potentiel de croissance du côté des loyers.
Les placements dans l’immobilier suisse sont en mesure de remplir ces critères, et cela d’autant plus que le marché est soutenu par la pénurie de logements, le potentiel de développement limité en matière d’aménagement du territoire, une économie réelle robuste et l’immigration, qui reste élevée. Le ratio confortable de fonds propres de nombreux investisseurs institutionnels assure une certaine résistance au stress et stabilise le marché.
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En Suisse aussi, on a toutefois pris conscience des nombreux risques liés à la «poly-crise». «Dans le contexte actuel du marché, avec des taux d’intérêt plus élevés et des prix plus volatils, les investisseuses et les investisseurs souhaitent être rémunérés pour les risques encourus, et attendent par conséquent des rendements élevés», analyse Sebastian Zollinger, responsable Real Estate Advisory chez PwC Suisse. Où trouver ces rendements? Des immeubles entièrement loués, avec des baux indexés à long terme et des sources d’énergie renouvelables, représentent actuellement les placements les plus attrayants.
Placements immobiliers indirects
Les fonds immobiliers cotés en bourse et les sociétés immobilières sont appréciés non seulement par les grands investisseurs institutionnels, mais aussi par les privés, qui peuvent ainsi investir dans cette classe d’actifs sans devoir acheter des objets immobiliers. Pendant des années, avec des distributions constantes et des plus-values notables, ils ont été un apport de rendement bienvenu dans le portefeuille de titres. L'année 2022 n’a toutefois pas été bonne pour les actionnaires. Ce secteur a, lui aussi, été touché par la remontée des taux. A l’échelle mondiale, les actions immobilières ont perdu quelque 22% de leur valeur en francs. Et celles ou ceux qui n’avaient que des titres européens ont même perdu près de 40%. Les fonds et actions immobiliers suisses se sont nettement mieux comportés. Les fonds basés sur de l’immobilier résidentiel ont le mieux tiré leur épingle du jeu. Les perspectives pour 2023 sont plus favorables, et une nouvelle augmentation des taux semble actuellement peu probable. Celui ou celle qui en a les moyens pourra profiter de la baisse des cours pour investir à nouveau dans ce segment.