Rachetée en août 2019, la Régie du Rhône constitue désormais une marque unique avec Gerofinance. Avec 930 millions d’états locatifs, ces sociétés deviennent la première régie de Suisse romande. Ce rachat parachève la stratégie de Jérôme Félicité: faire grandir la société créée par son père par des acquisitions. Aujourd’hui, 450 collaborateurs travaillent dans le groupe dont il préside le conseil d’administration.

Le Temps: La croissance par acquisition vous a permis d’être numéro 1 en Suisse romande. Visez-vous désormais la Suisse alémanique?

Jérôme Félicité: Gerofinance est installé à Zurich. De plus, nous avons une agence Barnes, notre spécialiste en courtage, à Gstaad et prochainement à Zermatt. Bien entendu, avec notre position de leader, nous nous posons la question d’un développement outre-Sarine en rachetant une entité ou en ouvrant nos propres agences, pour répondre à la demande de certains clients importants et rester à leurs côtés.

Un mouvement de consolidation a lieu dans l’immobilier. Cela n’empêche pas ce marché de compter beaucoup de petites structures. Comment expliquez-vous la cohabitation de ces deux échelles?

C’est une situation qui prévaut aussi dans la gestion de fortune ou l’assurance avec de très grands groupes et des microstructures, très liées à la personnalité de leur propriétaire. Les consolidations vont se poursuivre puisqu’il faut pouvoir offrir des services de plus en plus complexes et multidisciplinaires qui nécessitent de nombreux collaborateurs. A l’avenir, des régies de 250 à 500 employés coexisteront avec de toutes petites sociétés. Les structures de taille intermédiaire ou celles qui n’auront pas suffisamment investi dans le numérique risquent de disparaître. Les groupes familiaux d’importance, avec des actionnaires locaux, ancrés dans les régions et donc proches de leurs clients, ont une excellente carte à jouer.

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Au quartier de l’Etang en construction à Genève, les premiers logements et l’école pourront-ils être livrés en 2021, comme prévu, malgré le covid?

Il y a eu quelques reports, mais le planning prévisionnel est maintenu. Les premiers locataires vont emménager durant l’été 2021. Nous allons lancer la pré-commercialisation de 580 logements d’ici à la fin de l’année. Cela demande une logistique et un travail considérable que seule une régie suffisamment importante peut mener.

Ce projet comporte trois hôtels et des bureaux. Sur cet aspect, le covid est-il susceptible de faire changer les choses?

Soit le covid est amené à rester, et nous allons tous apprendre à vivre avec, soit il sera éradiqué. Dans les deux cas, la situation va se normaliser. Les hôtels et les bureaux vont de nouveau se remplir. D’ailleurs, les trois marques internationales hôtelières, qui ont déjà signé, vont offrir un large spectre d’hébergements, de l’économique à l’urbain en passant par l’appart-hôtel. Quant aux bureaux, il existe toujours une demande pour des objets de qualité bénéficiant d’une localisation de choix et répondant aux besoins économiques des entreprises.

Considérant le grand nombre de mètres carrés de bureaux construits récemment, ne va-t-on pas vers une suroffre dans ce domaine, vu la rapidité avec laquelle le covid fait évoluer les pratiques vers le télétravail?

Le taux de vacance des locaux commerciaux est anticyclique. A Genève, il ne date pas d’hier. On sent un changement. De plus en plus d’entreprises s’éloignent du centre-ville pour s’installer dans des espaces de qualité, neufs, durables et surtout proches des axes de mobilité, comme le quartier de l’Etang que vous citiez. Oui, il y aura plus de télétravail, mais le modèle des open spaces arrive à ses limites si on raisonne en termes épidémiologiques. Il y aura donc besoin de plus de surfaces. Plus que sur cette supposée suroffre, il faut s’interroger sur l’avenir de nos centres-villes. Quel visage veut-on leur donner?

Quelles conséquences le covid a-t-il sur le marché de l’immobilier locatif et sur l’immobilier résidentiel de luxe?

Dans les grandes agglomérations romandes, la demande de locatif reste toujours aussi élevée. Cela s’explique par le manque de constructions et la démographie positive. Quant au marché résidentiel de luxe, il a bénéficié d’un effet covid couplé aux faibles taux hypothécaires. On a ressenti ce besoin de jardin et de plus d’espace. Certains étrangers ont décidé de s’installer en Suisse, car ils estiment qu’elle a bien géré la première crise en prenant des mesures adéquates et respectueuses des libertés individuelles.

On n’a jamais autant construit de logements à Genève. Pourtant le taux de vacance reste bas. La crise du logement reste forte. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

Le taux de vacance à Genève a toujours été relativement tendu, il est lié à une croissance de la population plus forte qu’anticipé. En Suisse alémanique, Zurich a aussi connu cette forte croissance, mais a réussi à construire plus rapidement. A Genève, c’est le parcours du combattant. Un projet met deux à trois fois plus de temps qu’ailleurs pour voir le jour.

Les questions de développement et d’urbanisme sont au cœur du débat politique à Genève. Certaines formations demandent un moratoire sur les projets urbanistiques. Qu’en pensez-vous?

Il faut prendre en compte l’attachement des gens pour leur quartier mais, dans leur grande majorité, les membres de ces associations citoyennes ne sont ni urbanistes ni architectes, même s’ils imaginent l’être. Il faut avoir un regard qui dépasse la perception de son seul voisinage. Nous avons voté pour préserver la zone agricole du canton, nous devons donc accepter de densifier la zone urbaine. Je refuse la fermeture que représentent ces mouvements, souvent composés de nostalgiques d’une Genève des années 1980. Les temps ont changé. Ils militent pour le repli sur soi. Genève s’est construite en accueillant l’Autre. Nous devons notre prospérité et notre identité aux étrangers. Calvin était français!

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Fin août a été conclu un nouvel accord politique sur le logement. En zone de développement, les logements subventionnés, le locatif et la propriété par étages (PPE) seront répartis à parts égales. Cet accord vous satisfait-il?

En imposant dans les zones de développement des quotas, comment faire pour trouver un équilibre financier? On sait que les PPE financent la construction des quartiers. De plus, elles répondent aux besoins de la population genevoise qui recherche ce type de logements qui manquent cruellement. Il faut offrir à la classe moyenne des PPE moins chères que le reste du marché tout en ayant un équilibre financier pour les projets. Il n’y a que 19% de propriétaires à Genève. J’ai peine à croire qu’il soit intelligent de payer quarante ans de loyers à fonds perdu sans posséder un bien immobilier à sa retraite, qui représente un actif non négligeable. A croire que la classe politique n’encourage pas la propriété!