Marilyne Andersen: «Si on pense que la technologie optimise l’architecture, on se trompe»
Suisse 4.0
La technologie bouleverse la construction et l'architecture. Elle a un potentiel important pour la durabilité des bâtiments. Questions à Marilyne Andersen, professeure en technologies durables de la construction à l'EPFL

Marilyne Andersen est professeure en technologies durables de la construction et doyenne de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC) de l’EPFL. Elle est également cofondatrice de la spin-off Oculight dynamics sur le point d’être créée, qui proposera des services de conseil spécialisés en éclairage naturel, notamment à travers le logiciel OcuVis, qui représente et évalue la qualité de la lumière naturelle en fonction des besoins et du comportement des occupants dans un bâtiment.
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Le Temps: A quoi sert votre logiciel?
Marilyne Andersen: Il sert à donner une information supplémentaire aux analyses d’éclairage naturel traditionnel sur le potentiel de santé ou de bien-être, par exemple pour des constructions futures ou des rénovations. Il permet de savoir si l’environnement est plus sain en termes d’exposition à la lumière, mais aussi plus excitant – et le lieu se prêterait alors plutôt à des activités sociales – ou calmant – plus propice dans ce cas à être un lieu de travail.
Notre logiciel permet également de mesurer le confort avec la quantité de lumière et le risque d’éblouissement. La manière de quantifier la lumière est inédite, tout comme la façon de visualiser ces informations. Cela permet à l’architecte de mieux prendre ses décisions.
– La numérisation change-t-elle le métier d’architecte?
– Elle transforme la production architecturale, car on peut fabriquer différemment, en série, et très rapidement avec du préfabriqué. Par contre, si on pense que la technologie optimise l’architecture, on se trompe.
L’architecte a accès à davantage d’informations en amont, il dispose d’une plus grande capacité de synthèse, mais son métier reste le même: il doit prendre des décisions qu’une machine ne peut pas prendre car il reste des éléments impossibles à quantifier et à paramétrer, comme la beauté ou l’harmonie. Cette partie-là reste intuitive, émotive, basée sur l’expérience. Ce métier ne va pas disparaître, l’intuition est encore centrale.
– On parle beaucoup de robots qui construisent des immeubles, mais l’utilisation de la technologie dans la construction et dans l’architecture ne se limite pas à cela?
– Non, clairement pas. La technologie est déjà largement utilisée dans la domotique, qui permet l’automatisation de gestes du quotidien – gestion des stores, de la lumière, de la ventilation ou du chauffage – ou de systèmes de contrôle. Dans notre cas, c’est encore une autre forme d’utilisation de la technologie qui aide à la prise de décision. L’enjeu n’est pas seulement de produire de l’information, mais de la rendre facilement utilisable.
– En quoi la technologie est-elle utile pour la durabilité des bâtiments que l’on construit?
– Elle a un potentiel très bénéfique. Notamment parce qu’elle permet de construire plus avec moins de matériaux et de mieux comprendre beaucoup d’éléments. Mais elle peut aussi comporter un travers: on peut être tenté de se reposer sur la technologie pour compenser des manquements simplement parce qu’on ne s’est pas préoccupé de certains éléments en amont.
Un exemple? Si on oriente mal une maison ou qu’on lui choisit des matériaux inappropriés, il sera sans doute possible de compenser les problèmes de surchauffe ou de manque d’éclairage avec des moyens technologiques. Mais c’est une mauvaise décision, au départ, qui demande ce surcoût financier ou environnemental.
– Avez-vous des exemples?
– Certains projets à Dubaï, par exemple, sont une caricature de ce problème: il n’est pas raisonnable dans un climat aride de construire des immeubles avec de grandes baies vitrées qui nécessitent ensuite beaucoup d’air conditionné pour lutter contre la chaleur, un non-sens qu’on ne retrouve pas du tout dans l’architecture vernaculaire, faite de petites ouvertures ombragées, de cheminées de ventilation, d’épaisseur des murs importante, etc.
Avant la technologie, il fallait réfléchir à l’économie des ressources par nécessité. Aujourd’hui, on a l’occasion de combiner le bon sens et les acquis avec des moyens technologiques sans précédent, mais qu’il faut utiliser à bon escient.