Le revirement des taux d’intérêt n’a jusqu’à présent que peu affecté le marché immobilier, marqué par une croissance continue des prix depuis plus de dix ans. On observe cependant des signes de ralentissement depuis la fin de l’année dernière. Sommes-nous à l’aube d’un basculement? Dans ce contexte, est-il encore conseillé d’acheter? Sous quelles conditions? Le deuxième Forum Immobilier organisé par Le Temps, qui s’est tenu jeudi soir à Lausanne, s’est penché sur ces questions.

Y a-t-il un moment favorable pour acheter? «Je ne sais pas s’il y a un moment idéal, c’est une combinaison de facteurs. Nous n’avons pas toujours le choix entre un nouveau travail, un déménagement ou le décès d’un proche», a relevé Stéphanie Mérillat, présidente de l’agence immobilière Merse Immo, active dans l’Arc jurassien.

L’emblématique coprésidente du HC Bienne, qui concède ne pas avoir «encore digéré le match le plus décevant de sa vie» – la défaite jeudi dernier de son club en finale de championnat face à Genève – a rappelé les questions fondamentales à se poser avant d’acheter ou de vendre un bien: «Dans quel but est-ce que j’achète? Quelle est la surface d’endettement que je peux supporter? Puis-je moduler, agrandir le logement? Y a-t-il une école, des commerces à proximité?»

Stéphanie Mérillat appelle aussi à ne pas céder à l’esbroufe des agents immobiliers: «Il ne faut laisser aucune place au doute, ne pas hésiter à visiter une deuxième fois ou à se faire accompagner par quelqu’un d’extérieur». En cas de «coup de cœur», il est possible de trouver des solutions pour tout le reste, y compris le financement, a-t-elle souligné.

En Suisse, il y a plusieurs marchés immobiliers, que ce soit en termes de région ou de segment. Les besoins ne sont pas les mêmes à La Chaux-de-Fonds, Genève ou Lausanne. «La situation est plus détendue à Bienne. Mais un bel objet, bien situé trouve rapidement preneur partout», fait-elle remarquer. A ses yeux, le revirement des taux d’intérêt traduit le retour à une certaine forme de normalité. «Les gens sont devenus plus frileux. Ils négocient plus les prix», constate-t-elle.

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Le projet d’une vie

Quid de l’éternelle question entre l’achat et la location? Selon plusieurs études, la location est actuellement plus avantageuse d’un point de vue financier que le fait d’être propriétaire en raison de la remontée des taux hypothécaires. «Devenir propriétaire reste le projet d’une vie. Acheter reste toujours intéressant si l’on trouve un bien qui nous convient», relève Jacques Emery, directeur des ventes du groupe immobilier Naef.

Avec le relèvement attendu du taux de référence, les loyers vont augmenter. De plus, le marché locatif est en train de se raréfier. Presque toutes les villes de l’Arc lémanique ont vu leur taux de vacance baisser. Pour Jacques Emery, «le fait que le marché de la location soit en train de se durcir doit entrer dans la réflexion».

Reste à connaître a minima le marché quand on cherche à acquérir un bien. Après des années de taux zéro, la donne a changé avec les resserrements monétaires successifs de la Banque nationale suisse (BNS). «Les taux hypothécaires sont montés très vite début 2022. C’était un peu inquiétant. Nous avons reçu beaucoup de demandes d’estimation. Conséquence, nous avons eu beaucoup plus de biens à la vente», relève le membre de la direction générale de Naef.

Malgré une légère accalmie des prix, nous sommes encore loin d’un marché d’acheteurs. «Le taux de l’offre a commencé à augmenter, mais reste faible, de même que l’activité de construction», constate Vincent Clapasson, directeur pour la Suisse romande du cabinet de conseil Wüest Partner.

Du côté des banques, on se montre plutôt serein. «La sortie de la période des taux négatifs a été abrupte, mais nous restons sur des taux à bas niveau d’un point de vue historique», note David Michaud, économiste immobilier à la Banque cantonale vaudoise (BCV). Les hypothèques indexées sur le Saron évoluent autour de 2%, alors que les échéances fixes à dix ans avoisinent les 3%.

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Pas de krach en vue

Selon David Michaud, la comparaison avec la crise immobilière des années 1990, dont le souvenir reste vivace pour celles et ceux qui l’ont connue, n’est pas pertinente. «Les exigences financières ont été renforcées depuis cette période. Les durées d’amortissement ont été resserrées et la capitalisation du monde bancaire a augmenté», résume-t-il.

Les professionnels de la branche croient plus en un atterrissage en douceur qu’à un krach immobilier. «En comparaison européenne, la Suisse reste très attractive en matière d’emploi et de qualité de vie», rappelle Jacques Emery. Pour Vincent Clapasson, la seule chose qui pourrait corriger le marché, «c’est si on inondait le marché de l’offre, mais c’est loin d’être le cas».


Passe d’armes immobilière

Ces dernières années, de nouvelles agences immobilières sont apparues qui, à la place d’une commission, demande un montant forfaitaire. Le Forum Immobilier a opposé un défenseur de ce nouveau modèle à un représentant de la vieille école.

Et si l’on souhaite vendre sa propriété? A qui faut-il se fier? Le Forum Immobilier a été le théâtre d’un débat musclé entre un courtier «traditionnel», Vincent Grognard, directeur de la PME familiale lausannoise IMMO 4G, et Eric Corradin, cofondateur de la start-up Neho, les deux s’accusant mutuellement de publicité mensongère.

Née en 2017, l’agence Neho est plus de deux fois moins chère que la concurrence. «La différence principale c’est que nous déléguons les visites aux acheteurs. Nous estimons que les commissions des courtiers sont trop importantes et que le secteur manque de transparence. Nous avons répondu à une attente des clients. Le courtier avait très mauvaise réputation», souligne Eric Corradin.

De son côté, Vincent Grognard estime que Neho mise sur un «marketing très agressif, mais n’a rien à avoir avec l’immobilier. Le travail d’un courtier est de valoriser un bien. J’apporte une valeur ajoutée qui se manifeste par un prix de vente plus élevé», a-t-il fait valoir. Le public présent à Lausanne n’a pas affiché de préférence claire pour l’un ou l’autre modèle à l’issue de la joute verbale.

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