Pourquoi ne construit-on pas assez en Suisse?
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AbonnéANALYSE. Alors qu’une pénurie de logements se dessine à l’échelle du pays, l’activité de construction reste insuffisante. La poursuite de la densification s’avère indispensable

Le marché suisse du logement locatif a vécu un renversement total de tendance ces dernières années. En un temps record, il est passé de la suroffre à la pénurie. Le taux de vacance global (vente et location) pourrait passer l’an prochain sous la barre de 1%. Et les perspectives n’incitent guère à l’optimisme. Le marché est une nouvelle fois en train de s’assécher.
L’activité en berne de la construction est le principal motif avancé pour expliquer la situation actuelle. Selon le directeur de l’Office fédéral du logement (OFL), Martin Tschirren, il va manquer entre 5000 et 10 000 appartements par an dans les années à venir. De plus en plus de personnes s’installent en Suisse et la taille des ménages se réduit, car davantage de personnes vivent seules. Le solde migratoire va sans doute rester élevé dans les années à venir en raison du manque de main-d’œuvre qualifiée.
Si le nombre de logements construits durant la période 2015-2018 atteignait encore en moyenne annuelle 54 000 unités, ce chiffre a baissé à environ 45 000 l’an passé et devrait continuer de reculer, à quelque 42 000 en 2023 et 2024. Or, on estime que la Suisse a besoin de 50 000 logements supplémentaires par année. Le phénomène de pénurie est toutefois à nuancer, car on trouve encore beaucoup de logements libres en périphérie ou à la campagne, mais pas aux endroits où les gens souhaitent vivre.
Un suspect: la LAT
Pourquoi les acteurs de la branche ne réagissent-ils pas à la pénurie croissante? Feu Credit Suisse s’est penché sur cette question dans sa dernière étude immobilière, dont les auteurs étaient loin de se douter qu’ils changeraient d’employeurs durant le week-end. Les experts ont identifié un suspect potentiel: la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire (LAT). Entrée en vigueur en 2014, elle visait à stopper le mitage du territoire et encourager la densification.
Selon les économistes, ce n’est pas la loi en tant que telle qui pose problème. Le changement de paradigme était attendu depuis longtemps, car une majorité de la population s’est prononcée à plusieurs reprises contre la poursuite du mitage du territoire. Ce qu’ils critiquent, et de manière virulente, c’est la mise en œuvre du revirement en matière d’aménagement du territoire. Celle-ci a été abordée «dans le meilleur des cas sans planification et dans le pire des cas avec négligence».
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Le problème, c’est que la mise en œuvre prend beaucoup de temps. La première étape, à savoir l’adaptation des plans directeurs cantonaux et des lois sur la construction aux exigences de la Confédération, ne s’est achevée qu’en octobre 2022 avec l’approbation du plan directeur tessinois.
Dans une deuxième phase, ce sont maintenant les communes qui sont appelées à adapter leur planification à ces nouvelles exigences. La longue durée de mise en œuvre a eu pour conséquence que les classements en zone à bâtir ont non seulement été rendus plus difficiles que prévu, mais qu’en de nombreux endroits, ils n’ont plus été possibles du tout pendant des années.
Le frein des recours
Toute la pression s’est reportée sur la densification. Celle-ci progresse, certes, mais dans la pratique, elle est trop souvent freinée par les possibilités de recours, de longues procédures d’autorisation ou la lutte contre les nuisances sonores. Rien qu’en ville de Zurich, la construction d’environ 1000 logements est bloquée par des oppositions liées à la protection contre le bruit. Une discussion de fond s’avère nécessaire sur la question de savoir quelles demandes sont justifiées et où commence l’abus de droit.
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Selon les experts, le législateur a tout simplement omis d’encourager la densification par des mesures d’accompagnement. Des assouplissements sont absolument nécessaires. Comme les lois doivent être révisées, la détente ne pourrait intervenir que dans plusieurs années dans le meilleur des cas.
Reste que la LAT n’est pas responsable à elle seule de la pénurie croissante. Le revirement des taux d’intérêt incite moins à construire. Le prix élevé des terrains et les coûts de construction en forte hausse compliquent aussi la donne. Au-delà de l’action des pouvoirs publics, un changement de mentalité est nécessaire au niveau individuel. Bien souvent, la réaction est: «Densifier oui, mais pas chez nous!» Si l’on veut avoir une gestion économe du sol pour la protection du paysage, il faut aussi accepter une densification devant sa porte.