Terrabloc vit un tournant. La start-up, vainqueure de la deuxième édition du Prix SUD, organisé par Le Temps en novembre 2019, a entamé la semaine dernière la préproduction d’éléments en terre crue de 40 cm de long et de 8 cm d’épaisseur.

Ce troisième produit, baptisé Terraplac, servira à monter des cloisons. «Les produits sont quasi aboutis, lance Rodrigo Fernandez, le cofondateur de la société genevoise. Comme on l’avait prévu, le défi technique se situe au niveau des chanfreins [petite surface formée par une arête abattue, ndlr]. Je dirais que l’on se trouve à 95% du résultat que l’on veut obtenir. Mais on sait déjà comment combler les derniers 5%.»

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Mais Rodrigo Fernandez insiste sur un autre point, essentiel à ses yeux. «Ce sont les employés de Cornaz qui ont amené leur savoir-faire et proposé des modifications dans les moules pour améliorer le produit.» Cornaz? C’est l’entreprise familiale de fabrication de dalles avec laquelle Terrabloc collabore depuis ses débuts. Tout du moins, depuis que la start-up, à force de séduire des architectes et des maîtres d’ouvrage de la région, a décidé de changer d’échelle. Concrètement, il a fallu passer de sa machine artisanale – du brique par brique – à une production plus conséquente et plus homogénéisée.

Bien plus qu’un sous-traitant

C’est donc à Allaman (VD), au sein même de l’usine et du site de stockage de Cornaz, que Terrabloc a installé un bureau, en plus de son pied-à-terre genevois. «Ils nous louent les machines à la journée, mettent à disposition leur personnel, leur lieu de stockage et gèrent le chargement des produits», énumère Rodrigo Fernandez. Ce qui pourrait apparaître comme une banale relation de sous-traitance n’en est pas vraiment une. Les échanges informels sont réguliers entre Rodrigo Fernandez et son associé, l’architecte Laurent de Wurstemberger, et les employés de Cornaz. Et chacun en tire des bénéfices. «Nous avons 125 ans, nous travaillons avec du béton, pour des aménagements extérieurs… A priori, tout a l’air de nous opposer», concède Maria Cornaz, fille du patron, Michel Cornaz, et présidente du conseil d’administration de l’entreprise.

Elle évoque néanmoins un point qui rassemblait d’emblée les deux sociétés: la volonté, dans une perspective écologique et durable, d’être une entreprise locale pour un marché local. «Une énergie commune s’est tout de suite créée entre eux et mon père, grâce à cette même volonté de régler des problèmes techniques, cette envie d’échanges et de mettre les mains dans le cambouis.» Une cure de jouvence? «Il est certain que de se frotter à d’autres entrepreneurs et à d’autres visions, ça secoue et ça dynamise tout le monde, y compris les employés.»

En quête de volumes

Les 30 m² de Terraplac fraîchement produits passeront l’hiver sous un couvert et feront office de test grandeur nature. Des tests de feu et d’acoustique seront aussi réalisés. Ces plaques sont plus grandes et plus fines que les deux précédents éléments de construction que Terrabloc proposait déjà. Ils se doivent surtout d’être plus légers, puisque destinés à être insérés dans les intérieurs. «Ils seront enduits, ce n’est plus un challenge esthétique, il s’agit d’un enjeu de fonctionnalité», résume Rodrigo Fernandez.

C’est aussi le pari de plus grands volumes. Chaque étage d’un immeuble requiert quelque 100 m² de cloisons. Les perspectives sont donc bien plus larges que pour les briques. «Les volumes, c’est aujourd’hui le seul obstacle à ce que nos prix soient complètement concurrentiels avec les matériaux traditionnels», affirme le cofondateur.

La vraie production, elle, débutera en mars. Mais Terrabloc a déjà activé son réseau à ce sujet, des fiches techniques sont prêtes. Et deux petits chantiers sont déjà potentiellement preneurs. Comme à ses débuts, «ce sont les premières réalisations qui donneront de la crédibilité à notre proposition», prévoit Rodrigo Fernandez.

Les Terraplac sont une suite logique des briques Terrabloc, qui ont commencé à bâtir la réputation de l’entreprise, puis des éléments de plus grande taille, les Terrapad, développés depuis l’année dernière. Ces derniers sont d’ailleurs utilisés dans l’un des chantiers les plus visibles pour lesquels la start-up a été mandatée: la Maison de l’environnement, à Vennes, sur les hauts de Lausanne, qui accueillera le personnel de la Direction générale de l’environnement du canton. Les murs de deux atriums seront réalisés avec des éléments en terre crue.

Les travaux ont débuté cet automne et les livraisons se poursuivent depuis le site d’Allaman. L’Etat de Vaud, toujours lui, a aussi sollicité Terrabloc pour l’EMS La Colline, à Chexbres. «Les collectivités publiques montrent l’exemple», se félicite Rodrigo Fernandez. Qui ajoute qu’à Genève également, deux projets ont été réalisés avec la ville.

Direction la Suisse alémanique

Mais il y a d’autres clients qui sont plus ouverts que la moyenne pour tester des nouveautés et construire de manière plus écologique: les Alémaniques. «C’est un marché plus mûr, plus réactif et plus ouvert à la culture de la brique», remarque Rodrigo Fernandez. Terrabloc propose ainsi une version de son site en allemand, a donné une conférence à la foire Baumuster-Centrale, à Zurich. Et la démarche porte ses fruits, puisque l’intérêt et les commandes augmentent peu à peu.

Sauf que transporter des briques depuis Allaman jusque de l’autre côté de la Sarine, ce n’est pas dans les principes de Terrabloc, qui privilégie depuis toujours les circuits courts – 100 kilomètres tout au plus entre la terre excavée et la destination des briques. C’est la raison pour laquelle un partenariat de même nature qu’avec Cornaz est en cours de discussion dans la région alémanique. Rodrigo Fernandez ne souhaite pas en dire plus pour l’instant. Mais il est confiant sur la faisabilité d’un Terrabloc version alémanique. «De la terre excavée, on en trouve partout, il faut savoir la choisir!»