Révision et conseil
Stefan Pfister, CEO de KPMG Suisse, estime que lorsque des sociétés doivent licencier, c’est souvent le résultat d’autres problèmes hérités du passé. Pas seulement à cause du franc fort

KPMG Suisse a publié début décembre des résultats record dans ses trois secteurs d’activité pour l’exercice clos au 30 septembre. Son chiffre d’affaires net a crû de 3,6% à 401,9 millions de francs. Dans l’audit, sa principale division, il a augmenté de 1,2% à 200 millions. A la tête du cabinet de conseil et d’audit depuis un peu plus d’un an, Stefan Pfister estime qu’il ne faut pas surestimer l’impact du franc fort sur la compétitivité des entreprises helvétiques. Entretien.
Dix mois après l’abandon du taux plancher par la BNS, dans quel état se trouve l’économie helvétique?
La Suisse continue d’être très concurrentielle. Même si nous sommes encore en train de digérer les conséquences du franc fort, l’appréciation de la monnaie helvétique n’est pas survenue de manière entièrement inattendue. A l’avenir, les entreprises actives dans l’industrie ou les services de la place économique suisse devront se concentrer de manière encore plus conséquente sur les domaines d’activité où elles peuvent générer une valeur ajoutée élevée. Il peut s’agir de fonctions de direction mais aussi d’activités de recherche ou de développement ainsi que de production.
Cet automne, plusieurs licenciements, impliquant parfois plus d’une centaine d’emplois – comme Rieter, Sia Abrasives ou Tetra Pak –, ont été communiqués. Avez-vous été surpris par cette série d’annonces?
Non, pas vraiment. Elles s’inscrivent dans une logique industrielle qui est liée à l’optimisation continue des structures ou des processus des entreprises. Ce besoin d’optimisation a bien sûr été accru pour de nombreuses entreprises en raison de la force du franc et de conditions-cadre incertaines. Il résulte aussi de la numérisation croissante de l’économie. La décision de la BNS a accru la pression à une telle optimisation et elle a accéléré ce processus de transformation.
Le franc fort en est-il la principale cause?
Le franc fort est certainement un facteur qui a beaucoup d’importance mais c’en est un parmi d’autres.
Il est cependant très difficile de mesurer directement l’impact de l’abandon du taux plancher – ou même des variations des devises plus généralement – sur la santé des entreprises en termes statistiques. Quand des difficultés apparaissent et qu’une société doit licencier, c’est souvent le résultat d’autres problèmes hérités du passé. Ou de l’absence d’une croissance suffisante dans de nouvelles activités ou de nouveaux marchés. La pire issue est qu’une entreprise laisse sa situation se dégrader sans entreprendre de changements. De mon point de vue, quand une entreprise est contrainte d’être revendue à une autre, ce n’est pas quelque chose de négatif à mon avis. Cela peut éviter qu’elle finisse par se retrouver dans une situation sans issue.
L’abandon du taux plancher a aussi un impact sur les marges bénéficiaires des entreprises. Quel peut en être l’effet sur leurs investissements sur le long terme?
Il a pour effet de rendre les investissements des entreprises suisses relativement plus chers à l’intérieur du pays, alors qu’ils deviennent meilleurs marché à l’étranger. Pour les étrangers, il est évidemment plus cher d’investir en Suisse. Certains investissements importants annoncés au cours de l’année écoulée démontrent toutefois que le site suisse, grâce à ses exigences de qualité et à un haut niveau de formation, continue d’être très demandé. Mais attention: les implantations de firmes étrangères ont diminué de manière marquée depuis la crise financière. Il n’a pas été possible de revenir à la situation d’avant la crise.
Les sociétés suisses ont-elles profité du franc fort pour acheter plus d’entreprises à l’étranger?
L’an dernier, on a observé un nombre impressionnant de grandes transactions à orientation stratégique. En 2015, après l’abandon du taux plancher, le marché helvétique des fusions et acquisitions a évolué de manière plus réservée. Il y a moins de transactions et avec des volumes beaucoup plus faibles. De grandes transactions ont été observées uniquement dans les domaines de l’assurance, du tourisme et du commerce de détail. En revanche, l’année 2015 a été un record pour les entreprises suisses actives à l’international en termes de nombre de transactions à l’étranger. Néanmoins, l’impact spécifique du franc est à relativiser. Les entreprises suisses achètent certes davantage de sociétés étrangères que l’inverse. Toutefois, ces opérations visent souvent la reprise d’activités de niche particulières qui complètent la gamme existante de l’acquéreur. Elles sont d’abord motivées par l’acquisition d’une technologie donnée. Les repreneurs cherchent à acheter des sociétés qui sont focalisées clairement sur un segment donné et qui présentent peu de redondances avec celles de l’acquéreur.
Une entreprise suisse disposant de réserves de liquidités a, depuis la mi-janvier, soudainement vu son «pouvoir d’achat» augmenter de 10 à 15% depuis janvier. N’est-ce pas trop tentant et cela peut-il conduire à des erreurs stratégiques lors de rachats?
Les variations de changes ne représentent qu’un effet particulier. Une société, même si elle a d’importantes réserves de cash, ne va pas racheter une autre société uniquement pour cette raison. En outre, avoir d’importantes réserves de liquidités peut aussi avoir un effet à double tranchant. D’une part, le fait d’avoir beaucoup de cash augmente la marge de manoeuvre pour les entreprises mais cela peut aussi accroître la pression sur le management pour agir. Mais, d’autre part, quand les sociétés ont beaucoup de liquidités, cela a aussi pour effet d’augmenter les prix, avec le risque pour l’acquéreur de surpayer pour acheter une société.
Jusqu’ici, les marchés ont généralement salué les annonces d’acquisitions cette année. A tort?
C’est vrai que la bourse a, en général, réagi positivement lors d’annonces de fusions et acquisitions – y compris pour les actions de la firme qui achète. Toutefois, il y a eu aussi des cas pour lesquels les investisseurs se sont montrés déstabilisés par une annonce de rachat, posant des questions critiques à leur sujet. Quant à savoir si les opérations de fusions et acquisitions profitent à l’actionnaire, il n’y a pas de règle générale absolue à ce sujet.
Il a été beaucoup questions des conditions-cadre cette année. Quel aspect vous paraît le plus important pour préserver la compétitivité de la place économique suisse dans le contexte actuel?
La Suisse ferait bien de veiller à maintenir ses conditions-cadre attrayantes. Cela vaut en particulier pour la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) qui est en cours que pour le marché du travail que nous devrions organiser de manière plus flexible. De plus, nos entreprises doivent se conformer aux règles internationales, comme celles de l’OCDE et de l’UE. Les règles suisses qui concernent des entreprises ou clients à l’étranger doivent aussi être conformes, ou «compliant» avec ce cadre. Il est tout aussi important de soigner notre niveau de formation, en tenant compte en particulier de notre système de formation duale, tout comme la qualité des infrastructures en général.