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«Il est impossible de réussir dans une société qui est en crise»

Le Conseil mondial des affaires pour le développement durable veut concilier économie et respect social et de l'environnement. Entretien avec son directeur, Björn Stigson.

Le Temps: Les raisons pour lesquelles le Conseil mondial des affaires pour le développement durable (WBCSD) a été fondé en 1992 sont-elles encore valables?

Björn Stigson: Plus que jamais. Nos membres ont compris qu'on ne peut plus dissocier la gestion des entreprises de la santé de la planète et de ses habitants. Depuis 1992, nous avons intégré également les questions sociales et de bonne gouvernance. Dans la pratique, cela veut dire un dialogue permanent avec tous les acteurs concernés par nos activités. Par exemple, une société minière ne peut pas se permettre d'ignorer la population touchée par son projet.

– Pourtant les entreprises sont perçues purement comme des machines à maximiser les profits. Certaines d'entre elles n'ont-elles pas été épinglées pour avoir jeté des déchets toxiques dans la mer ou vendu des produits fabriqués par des enfants?

– Les entreprises doivent faire des profits. Nous ne prétendons rien d'autre. Elles cessent d'exister lorsqu'elles ne sont plus rentables. Cela dit, il est évident que les entreprises ne peuvent pas prospérer alors que, du côté de l'environnement et de la société en général, c'est l'échec. Par ailleurs, il ne faut pas considérer la communauté des affaires comme un bloc monolithique. Aux côtés des entrepreneurs responsables et concernés par l'avenir, il y a ceux pour qui le profit est la principale motivation. Comme partout ailleurs, nous avons de bons et de mauvais acteurs, et ces derniers représentent effectivement un problème pour nous. Mais ce n'est pas à nous d'agir comme une police.

– La «Coalition globale pour le climat», ce collectif des sociétés pétrolières américaines qui contestent le changement climatique serait-elle un mouton noir?

– Les membres les plus influents sont partis. Ce groupe est complètement affaibli aujourd'hui. Certains chefs d'entreprise ne veulent pas agir tant que les menaces sont lointaines ou hypothétiques. Ils ont tort.

– Les membres du WBCSD tentent donc de réconcilier la rentabilité et la responsabilité sociale?

  • Ils savent qu'il est impossible de réussir dans une société qui est en crise. La responsabilité sociale est une question de culture, et chaque entreprise l'assume différemment d'un pays à l'autre. On ne peut pas avoir de code de conduite global. Bien sûr, il y a des principes fondamentaux universels, comme les droits de l'homme

– Appartient-il aux entreprises de combattre la pauvreté dans le monde et plus particulièrement dans le tiers-monde?

– Nous devons absolument assumer notre part dans le combat contre la pauvreté. Mais pas pour des raisons philanthropiques. Les pauvres d'aujourd'hui représentent un marché substantiel, des consommateurs potentiels pour les produits et services. Il s'agit de gens qui n'ont pas beaucoup d'argent. Savez-vous q'une ligne téléphonique installée dans un village au Bangladesh rapporte trois fois plus qu'une ligne accordée dans une zone urbaine? A terme, nous devons montrer que l'économie de marché fonctionne pour tout le monde. Enfin, nous avons besoin d'un monde plus riche et plus stable pour poursuivre nos affaires.

– Le dialogue entreprises-

société civile est tout nouveau, n'est-ce pas?

– La société civile a grandi. La confrontation a cédé la place à un dialogue constructif. Il nous appartient de montrer que nous sommes à l'écoute de cette voix et que nous en avons besoin. On peut dialoguer et être en désaccord.

– Comment définissez-vous le processus de globalisation?

– C'est la combinaison de trois éléments: un marché global où les marchandises et les investissements circulent librement, un environnement qui ne connaît pas de frontière et où les solutions à divers problèmes, comme le changement climatique, doivent être trouvées globalement et, enfin, un monde transparent où tout se sait et peut être dénoncé, notamment grâce à Internet

– Et le mouvement anti-globalisation?

– C'est une multitude de groupes avec des intérêts divergents. Il a une fausse perception de l'économie qui, selon lui, a trop de pouvoir et qui impose les décisions politiques et économiques. C'est le contraire qui est vrai: c'est lui qui fait la une des journaux. Il influence l'agenda mondial. Les politiciens sont à l'écoute de ce mouvement plus que des entreprises.

– Comment interprétez-vous les manifestations anti-mondialisation qui marquent désormais tous les grands rendez-vous?

– Nous les prenons très au sérieux. Nous constatons que les manifestants n'ont pas trouvé d'autres voix d'expression pour mettre en avant leurs revendications. Certes, il faut un débat et, de notre côté, nous sommes ouverts. Si l'une des conséquences de ces manifestations est d'éloigner les décideurs dans des endroits inaccessibles, elle est contre-productive.