Le Temps: Vous avez créé votre entreprise spécialisée dans l’individualisation de la prévoyance en 2000. Avez-vous profité de l’avantage du pionnier?

Jörg Odermatt: Le pionnier se trouve confronté à un flot de questions des clients potentiels et à leur vaine recherche de comparaisons. Les deux premières années ont donc été assez compliquées.

– Quelle a été l’idée initiale de votre modèle d’affaires?

– Dans le courant des années 90 déjà, j’étais conscient que l’assuré, en tant que détenteur d’avoirs de prévoyance, ne bénéficiait que trop peu d’un droit de regard sur la gestion dans la LPP. Lors d’un stage professionnel à Bruxelles, j’a i constaté que le libre choix du placement pour les assurés n’était pas proposé avec succès qu’aux Etats-Unis mais également dans les Etats du Benelux. Mon intention était d’importer la proposition en Suisse. Dans notre pays, la discussion persistait sur la transparence et l’utilisation des excédents. A mon avis, si un salarié pouvait adopter sa propre stratégie et recevoir à la fin de l’année un compte rendu clair et détaillé de ses actifs de retraite, la discussion sur l’utilisation des bénéfices (ou des pertes) deviendrait superflue.

– Quelle réforme ou quelle modification législative a vraiment lancé votre projet?

– En l’an 2000, rien n’était ancré dans la loi à ce sujet. Nous devions discuter avec les autorités fiscales cantonales, l’Office fédéral des assurances sociales, les autorités de surveillance. Nous avions besoin de leur accord pour asseoir notre modèle d’affaires basé sur le libre choix de la stratégie. La sécurité juridique n’a été garantie par la loi qu’à partir de 2006.

– Est-ce que la segmentation était identique à aujourd’hui?

– Nous avions l’intention d’offrir le libre choix de la stratégie dans le segment surobligatoire. Il faut savoir que l’obligatoire doit assurer une garantie de taux d’intérêt. Cette contrainte ne peut se marier à l’idée d’un libre choix de la stratégie.

– Pourquoi vous êtes-vous alliés à la banque privée Reichmuth & Co?

– Avec un petit acteur bancaire, les décisions sont plus rapides qu’avec une grande banque. Reichmuth & Co a toujours caressé l’idée d’offrir à chacun la responsabilité de la gestion de sa prévoyance dans le surobligatoire. Nous avons rapidement été sur la même longueur d’onde. D’autant que nous sommes tous deux lucernois. Nous avons ensuite émis l’idée de nous appuyer également sur d’autres instituts bancaires.

– Le marché a démarré en 2006. Quelle est la situation actuelle?

– Depuis deux ou trois ans, le nombre de concurrents s’est accru sur ce marché. Cela signifie que le débat s’intensifie sur le thème de l’individualisation de la prévoyance. La baisse du taux minimum joue aussi un rôle. Les clients des caisses de pension se méfient toujours plus des conséquences de la crise de la dette. Ainsi, dans un environnement de placement peu sûr avec le libre choix de la stratégie de placement, les assurés ne cherchent pas en priorité une meilleure performance. En ces temps, il est beaucoup plus important de savoir que l’on n’a pas investi en Grèce, en Italie, en Espagne, etc. A long terme, les assurés souhaitent, naturellement, un meilleur développement des valeurs.

Depuis mi-décembre 2011, l’OFAS est de l’avis qu’auprès d’une fondation collective au maximum 5 à 10 stratégies de placement par société affiliée sont admissibles. La loi ne prévoit en principe pas une telle restriction. Cependant, la plupart des fondations pourront très bien vivre avec ce plafonnement des stratégies de placement.

– Quel est le rôle de la banque?

– Elle met en œuvre la stratégie définie. Outre les fonds de placement de Reichmuth & Co, nous travaillons aussi avec des fondations d’investissement disposant de stratégies conformes à la LPP, qu’il s’agisse par exemple de Swisscanto, IST, Anlagestiftung Winterthur ou Credit Suisse. Reichmuth & Co est alors la banque dépositaire. Pour les plus grands avoirs de prévoyance, nous pouvons, selon les besoins des sociétés affiliées, proposer aux assurés de nombreuses autres stratégies de placement.

– Quelle est votre dimension actuelle?

– Après une forte expansion, la fondation collective PensFlex gère à fin 2011 750 millions de francs d’avoirs de prévoyance. Nous conseillons 700 entreprises et environ 2400 salariés.

– Quels sont vos concurrents principaux?

– Il en existe plusieurs, dont AXA Winterthur depuis fin 2011, Swiss Life depuis 2012, ainsi que, depuis quelques années, les fondations collectives Elite et Liberty, etc. Autrement, il existe encore de nombreux groupes disposant d’une fondation propre comme par exemple Novartis ou Schindler qui proposent le libre choix de la stratégie de placement pour leurs propres employés.

– L’avantage des coûts est primordial dans la prévoyance. Etes-vous un leader à ce sujet?

– Nous ne le sommes pas et ne le voulons pas. Dès qu’une entreprise offre pour sa caisse de pension une stratégie collective, les coûts sont forcément plus bas qu’avec une stratégie individualisée.

Nous voulons accompagner les salariés et leur offrir un conseil complet. C’est forcément plus cher. D’autres instituts ont une approche différente. Mais les coûts de notre solution ne sont que 0,2 à 0,3% plus élevés qu’avec une gestion collective.

– Que comprennent ces 0,2-0,3%?

– Il s’agit du conseil pour les placements, la prévoyance et les impôts. Notre mission consiste à accroître la transparence.

– Avec l’arrivée des grands groupes tels que AXA Winterthur et Swiss Life, quelles sont vos chances de survie à long terme?

– Nous avons 12 ans d’expérience et autant d’années d’avance. De plus, notre offre est plus large et ouverte qu’ailleurs, avec nos deux banques privées Reichmuth & Co et Notenstein ainsi que nos nombreuses fondations de placement. Nous nous réjouissons de plus de concurrence. Ainsi l’idée du libre choix de la stratégie de placement devient ancrée dans le marché de la prévoyance et les assurés ont ainsi un plus grand choix.

– Est-ce que PensExpert SA est un «one man show»?

– Non. PensExpert SA est une société de 20 collaborateurs répartis entre Lucerne, Zurich et Lausanne. L’effectif augmente avec la clientèle.

– Quels sont les nouveaux défis réglementaires? Est-ce le fameux article 17 de la loi fédérale sur le libre passage?

– Pour PensFlex, l’art. 17 LFLP est un sujet depuis l’an 2000 déjà. Nous nous sommes organisés en conséquence et, grâce à notre expérience, savons gérer ce point également lors d’années d’investissement difficiles. Mais nous soutenons la motion Stahl. On ne peut offrir le libre choix et la responsabilité qui en découle et demander à la caisse de pension de garantir la fortune en cas de changement d’emploi. A mon avis, l’article 17 sur le libre passage devrait disparaître ces deux prochaines années.

– Quelle est votre opinion sur le rapport du Conseil fédéral sur l’avenir de la prévoyance?

– Le titre du rapport est erroné. Il présente la situation actuelle, en détail. Les grandes tendances imminentes dans le domaine de la démographie, de la structure sociale et de l’économie sont malheureusement à peine prises en compte.

– L’analyse présentée n’est-elle pas pertinente?

– Sans doute, mais les employés seront de plus en plus internationaux, plus indépendants, auront peut-être deux ou trois employeurs en même temps. Le rapport du Conseil fédéral ignore ces changements structurels.

– Qui aujourd’hui lutte contre l’individualisation de la prévoyance et le libre choix?

– On a le sentiment que le fisc n’approuve pas l’individualisation dans le 2e pilier. Nous le ressentons dans la plupart des cantons. L’OFAS et la Commission LPP ne souhaitent, également, aucun élargissement des libertés de choix et donnent un coup de frein. Cependant, le marché du travail se développe dans une autre direction.

– Pourquoi le fisc y est-il opposé?

– Bonne question. J’aimerais aussi le savoir car l’individualisation n’apporte aucun avantage fiscal à l’assuré. Le fisc pense sans doute que l’individualisation renforce l’attrait du deuxième pilier.

– Vous travaillez avec Reichmuth & Co et Notenstein SA (anciennement Wegelin & Co) en Suisse alémanique. Quel est votre partenaire romand?

– Nous avons aussi travaillé avec Wegelin & Co, devenue aujourd’hui Notenstein Banque Privée SA. En raison de nombreuses demandes de clients, nous évaluons pour la Suisse romande un partenaire bancaire supplémentaire. Nous voudrions aussi pouvoir proposer à nos clients suisses romands deux bons partenaires bancaires.

– Est-ce que les clients ont souffert de l’impact des fonds de Madoff sur Reichmuth?

– Le fonds de placement Reichmuth Alpin avait environ 15-20% en fonds alternatifs. Les clients ayant investi dans un fonds Reich­muth Alpin ont, sous l’effet Madoff, perdu environ 1,5% en 2008. Nous l’avons expliqué aux clients. Aucune caisse suisse n’aurait pu investir à 100% dans des placements alternatifs comme Madoff, par exemple. Cela n’aurait pas été conforme aux directives de la LPP.

– Quelle sera votre stratégie pour les prochains mois?

– Nous investirons dans l’innovation. Nous avons trois banques dépositaires, Reichmuth & Co, Notenstein SA et bientôt un allié romand supplémentaire. Nous essaierons d’ajouter des thèmes tels que le développement durable ou les obligations catastrophes.

– Comment le marché du libre choix va-t-il évoluer?

– Le marché de la prévoyance représente 621 milliards de francs (fin 2010). J’estime que 40 vont aux fondations de libre passage. Le surobligatoire représente environ 200-250 milliards. De cela, 100 milliards pourraient probablement être individualisés – avec le libre choix de la stratégie de placement. Malheureusement, il n’existe aucun chiffre officiel.

– Il faut distinguer entre les fondations enveloppantes et les «splittées». Est-ce que vous profitez de cette tendance à la séparation?

– L’impact causé par les nouvelles normes comptables IAS 19 est important. IAS 19, qui entrera en vigueur en 2013, amène les entreprises à inscrire les engagements des caisses de pension à leur bilan.

Pour que les engagements soient maintenus à un bas niveau, Novartis, par exemple, a fondé une fondation séparée (Splitting) en 2011, avec libre choix de la stratégie pour les employés. La plupart des groupes suisses cotés établissent les comptes selon ces normes comptables et disposent d’une caisse de pension enveloppante. Pour cette raison, ces entreprises examineront sans doute l’intérêt d’un splitting de leur caisse de pension avec libre choix de la stratégie de placement.

– Est-ce que 100 milliards pour la prévoyance individualisée, c’est un plafond maximum?

– Le capital de prévoyance du 2e pilier augmentera fortement dans les 10 à 15 prochaines années. Aujourd’hui, environ 30% des assurés qui pourraient, sur la base de leur salaire, passer dans une stratégie de placement individuelle, souhaiteraient vraiment faire usage de cette possibilité. Ainsi, le potentiel pour des solutions de prévoyance avec le libre choix de la stratégie de placement est estimé à environ 30 milliards de francs.

Depuis deux ou trois ans, le nombre de concurrents s’est accru sur ce marché particulier