Ce n’est pas elle qui sera au centre de l’attention ce jeudi. Comme à l’accoutumée, ce sera à Christine Lagarde de monter derrière le pupitre et d’expliquer la décision de la Banque centrale européenne (BCE) qu’elle préside. Un rôle peu enviable dans un contexte où l’institution est sous pression pour lutter contre une inflation qui atteint des records et prévenir une récession qui s’annonce presque inévitable.

Dans le sillage de la Française apparaît de plus en plus clairement une autre personnalité: Isabel Schnabel. Sur Twitter, dans les médias, parmi les jeunes, l’économiste allemande, entrée au Conseil des gouverneurs de la BCE en 2020, est partout pour propager et vulgariser la mission de l’institution basée à Francfort. Pour la rendre audible auprès des Allemands, dont une frange non négligeable est toujours critique vis-à-vis de ses actions.

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C’est «une des figures les plus importantes de la BCE», confirme Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management. Dans un contexte où la présidente de l’institution n’est pas économiste, le fait qu’Isabel Schnabel le soit, en plus d’être Allemande (même si en tant que membre du directoire elle ne représente pas son pays), est crucial. «Elle a une influence très importante, qui va au-delà de sa position au sein du directoire», estime l’expert, qui l’a rencontrée à plusieurs reprises.

Plus convaincante

Et de citer un exemple: «Lorsque Christine Lagarde ou d’autres annoncent que la BCE planche sur un plan anti-fragmentation [dont le but est d’éviter un écartement trop important des rendements des obligations des différents pays de la zone euro, ndlr], les marchés et les experts émettent des doutes. Puis, lorsque Isabel Schnabel évoque le même plan, peut-être avec un peu plus de vigueur, lors d’un discours à la Sorbonne, les marchés l’écoutent.»

Isabel Schnabel est arrivée à la BCE dans un contexte tout à fait différent: début 2020, on craignait encore le spectre de la déflation et la pandémie n’avait pas encore secoué l’économie mondiale. Elle remplaçait alors sa compatriote Sabine Lautenschläger, exaspérée au point de partir deux ans avant la fin de son mandat.

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Sa carrière commence par un apprentissage à Deutsche Bank dans sa ville natale de Dortmund. C’est ensuite qu’elle part étudier l’économie à Mannheim, puis à la Sorbonne et à Berkeley. Elle fait ensuite son doctorat à Mannheim où elle commence à enseigner, avant d’aller à Bonn et Mayence. Membre du groupe des cinq sages, qui conseille le gouvernement allemand depuis 2014, elle est spécialisée dans l’économie financière. Agée de 51 ans, mariée à un professeur d’économie, mère de trois filles dont l’aînée s’apprête à étudier l’économie, elle a déjà dit à plusieurs reprises qu’elle n’aurait jamais renoncé à avoir des enfants. Dans le magazine féminin Brigitte, elle raconte qu’elle pendulait avec sa troisième fille de 6 semaines entre Bonn et Mayance (1 heure 23 en train). Elle admet avoir atteint ses limites, mais souligne que, depuis, elle n’a plus jamais trouvé les allers et retours quotidiens fatigants.

Omniprésente sur Twitter

Ses pairs ne tarissent pas d’éloges à son sujet: «Isabel Schnabel est une voix très respectée au sein de la communauté internationale des banques centrales, souligne Andréa Maechler, numéro trois de la Banque nationale suisse (BNS). Son expertise couvre une large palette de domaines. Ses analyses sont pointues et pertinentes, en phase avec l’actualité.» «Excellente économiste, elle amène aussi énormément de par sa personnalité», ajoute la banquière centrale helvétique, qui la considère comme «quelqu’un de très ouvert, qui recherche l’échange avec ses pairs et propose de nouvelles perspectives, ce qu’elle fait de manière réfléchie. Ce sont de précieux atouts dans un environnement global aussi complexe que celui dans lequel nous vivons actuellement.»

Excellente, ouverte, mais aussi «personne très naturelle», confirme Stefan Gerlach, chef économiste de la Banque EFG à Zurich, qui l’a côtoyée. Cela vient sans doute de son parcours académique, poursuit-il. Dans ce monde, il y a une forme de level playing field, où chacun peut exposer une idée, alors que le monde des banquiers centraux est beaucoup plus hiérarchisé.

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La présence sur les réseaux sociaux de celle qui est aussi engagée sur les questions d’égalité est bien vue: «Elle fait un bon travail avec ses commentaires sur Twitter, estime Stefan Gerlach. Gérer le flux d’informations, expliquer, c’est de plus en plus important pour les banquiers centraux.» Christine Lagarde aussi, a son compte Twitter, avec un nombre de followers 25 fois plus important, mais ses communications sont gérées par son équipe de communication. Sa proximité, son interaction directe, puisqu’elle répond souvent à des collègues ou à des étudiants, et sa pédagogie sont aussi soulignées par Frederik Ducrozet, qui rappelle que c’est d’autant plus important que les critiques viennent essentiellement d’Allemagne. «L’inflation ne vient pas des taux négatifs, ni de ce que la BCE aurait été trop laxiste avec des politiques d’assouplissement quantitatif, sinon elle serait apparue bien plus tôt. C’est important d’expliquer que cela vient des disruptions dans l’économie liées à la pandémie et à la guerre en Ukraine», poursuit l’économiste de Pictet.

Et de l’expliquer à tous les publics: qu’il s’agisse de Dein Spiegel, l’équivalent pour les jeunes du magazine Spiegel, ou d’une émission Jung & Naiv, d’un youtubeur connu outre Rhin, où elle doit répondre en direct pendant 2h30 à des questions d’auditeurs, «cela vaut des dizaines d’interviews spécialisées si cela permet de convaincre le grand public allemand», souligne encore Frederik Ducrozet.

Ce qui n’est pas le cas du Bild, qui fait rarement dans la dentelle. En avril dernier, le quotidien de boulevard allemand publiait la photo d’Isabel Schnabel et de Christine Lagarde avec l’accusation suivante: «Elles nous appauvrissent mais s’enrichissent.» La logique? L’inflation augmente, pénalisant les consommateurs, qui souffrent aussi des taux négatifs et de la politique d’assouplissement quantitatif. Pendant ce temps, cette dernière a dopé les actions et permis aux deux responsables, qui détiennent des fonds de placement et des actions, de s’enrichir, s’étranglait Bild.

Pressentie à la Bundesbank

C’était la deuxième fois que le quotidien s’attaquait aux deux (seules) femmes du Conseil des gouverneurs de la BCE (de même qu'à la directrice de la Banque mondiale). Les 23 autres, qui n’ont en tout cas pas moins de pouvoir qu’Isabel Schnabel, sont des hommes. Cet organe compte six membres du directoire de la BCE et les gouverneurs des banques centrales des 19 pays membres de la zone euro. En 2021, alors que l’Allemande apparaissait comme l’une des possibles remplaçantes de Jens Weidmann à la tête de la Bundesbank, le Bild titrait: «Les Allemands devraient trembler devant cette femme». Si Isabel Schnabel caressait le rêve de devenir présidente de la BCE ensuite, le chemin aurait ainsi été tracé et beaucoup considèrent qu’elle y serait à sa place. Mais c’est finalement Joachim Nagel qui a été nommé à ce poste.

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Malgré toutes les attaques du Bild et d’autres, il ne faudrait pas croire que cette spécialiste des banques est une «colombe», comme on décrit dans le langage des banquiers centraux ceux qui sont favorables à des politiques monétaires expansionnistes. Si elle n’est pas virulente comme certains compatriotes à l’égard de la BCE, elle se rangerait néanmoins plutôt du côté des «faucons» qui tiennent l’inflation comme le mal absolu. A cette exception près: «C’est une excellente économiste, respectée et pragmatique. Quand il y a un risque d’inflation trop faible, elle comprend aussi qu’il faut agir. Mais maintenant que les prix flambent, elle est la première à pousser pour une hausse des taux. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard qu’elle fasse partie de ceux qui veulent un outil anti-fragmentation. C’est précisément pour pouvoir relever les taux d’intérêt plus rapidement», explique Frederik Ducrozet. Si la BCE opte finalement pour une hausse de 50 points de base ce jeudi (et pas 25 comme elle l’avait pré-annoncé), Isabel Schnabel n’y sera donc pas étrangère.