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«Si j’avais été premier ministre grec, je serais allé voir le FMI et non mes collègues européens»

Charles Wyplosz, professeur d’économie internationale à IHEID, à Genève, livre son analyse de la crise de l’euro

Expert des questions monétairesProfesseur depuis 1995 à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, Charles Wyplosz dirige également le Centre international d’études monétaires et bancaires. Français d’origine, cet expert des questions monétaires s’intéresse notamment au processus d’intégration européenne et au système monétaire international.Ce diplômé de l’Ecole centrale de Paris et de Harvard a par ailleurs été conseiller de Nicolas Sarkozy et de José Manuel Barroso, au début de leur mandat respectivement à la présidence française et à la Commission européenne. Il a également été conseiller du gouvernement russe. Il a aussi été entendu comme expert au FMI, à la Banque mondiale et au Parlement européen, entre autres. Le Temps: Vous revenez de Grèce, le pays où la crise de l’euro a éclaté. Qu’avez-vous constaté sur place? Charles Wyplosz: Le gouvernement grec s’est engagé à poursuivre les réformes structurelles. La veille de mon arrivée, il venait de décider d’une loi visant à éliminer une série d’emplois protégés, qui jouissent de rentes honteuses. Cela aurait pu déclencher des hostilités. Les syndicats avaient accepté cette mesure par avance. Les réformes, aussi douloureuses qu’elles soient, sont acceptées par la population. Elle a compris qu’il faut couper le bras gauche pour sauver le bras droit.

– Les mesures d’austérité ne sont-elles pas trop violentes?

– Oui, elles vont encore enfoncer le pays dans la récession. Il faut réduire le déficit, mais la façon de le faire est excessive. Il aurait été préférable d’étaler les mesures dans le temps. Les marchés ne sont pas non plus convaincus par cet empressement. Ils estiment que les mesures sont trop violentes et qu’elles seront intenables pour la population. Par conséquent, ils anticipent un défaut partiel de remboursement et une restructuration de la dette. Je partage cette vision.

– Mais la zone euro ne veut toujours pas en entendre parler?

– C’est une opposition dogmatique. Les autres Etats avaient, au début de la crise grecque, écarté l’idée d’un défaut. Mais beaucoup d’eau a coulé depuis. Aujourd’hui, ce scénario est tout à fait imaginable. Le principe est même acquis, mais seulement après 2013. Dire aux marchés qu’il faut sagement attendre, c’est du délire. Aujourd’hui, les rumeurs disent que la Grèce négocie un défaut partiel. C’est mieux que de continuer à se refinancer à un taux d’intérêt de près de 10%. Si j’avais été premier ministre grec, ce que je ne souhaite pas, je serais allé voir le FMI, et pas mes collègues européens, pour discuter d’une restructuration de la dette. La pression que mettent les autres pays européens est scandaleuse. Ces Etats sont hantés par le spectre d’un défaut parce qu’ils craignent de devoir refinancer leurs banques qui sont les principales créancières de la dette grecque. Ce serait très impopulaire.

– Cela nous mène au Fonds européen de stabilité financière (FESF). Est-ce une solution crédible?

– Les politiques sont déconnectés de l’économie et ne réalisent pas que la construction de la zone euro est incomplète. Cette crise a révélé ses faiblesses structurelles. Ils essaient de les régler maintenant, mais ils prennent la mauvaise direction.

– Avec un fonds monétaire européen déguisé?

– Pendant longtemps, j’ai défendu l’idée de plusieurs fonds monétaires régionaux. Après la crise financière en Asie, il était question de créer un fonds régional pour ce continent. L’idée était bonne. Un fonds régional serait plus à même de proposer des réponses adaptées que celles – toutes faites – prodiguées par le FMI à Washington. S’il y avait plusieurs médecins, le patient bénéficierait de plusieurs diagnostics. Le FME me plaît pour cette raison. Ce qui me gêne, c’est sa construction. On critique la politisation du FMI, mais le FME est encore plus politisé. Au FMI, on dit qu’il y a trop d’influence américaine. Elle provient du fait que les Etats-Unis sont les principaux bailleurs de fonds. Au FME, ce sera l’Allemagne, et elle a une vision extrêmement dure de ce que doit être ce fonds, notamment en ce qui concerne les sanctions, ce qui ne me paraît pas être la bonne solution.

Est-il suffisamment doté ou faut-il le financer au-delà des 440 milliards d’euros, comme prévu?

– C’est une erreur technique de dire que le fonds est doté de 440 milliards. En réalité, seuls 250 milliards sont utilisables, en raison des exigences qu’ont imposées les agences de notation en échange de la note AAA, le reste est mis en réserve. D’où la volonté d’augmenter le fonds. Il faut noter que les gouvernements européens n’ont pas arrêté de vilipender les agences de notation pendant la crise. Puis, ils se sont mis à plat ventre devant elles pour que le fonds obtienne la note AAA. Quoi qu’il en soit, les 440 milliards ne suffiront pas si l’Espagne doit demander de l’aide, ce qui est possible. Quand on est parti dans la mauvaise direction, il faut avoir le courage de revenir sur ses pas pour trouver d’autres solutions au lieu de s’enfoncer.

Qu’attendre du sommet européen qui se réunit ce week-end à Bruxelles?

– On connaîtra les conditions que l’Allemagne voudra imposer avant d’augmenter sa contribution au fonds. Le sommet de ce week-end préparera celui de fin mars. Il confirmera surtout le leadership franco-allemand qu’on croyait disparu. Il est aussi important parce qu’on décidera de la pérennisation du fonds.

– N’êtes-vous pas trop pessimiste? Que faites-vous des perspectives conjoncturelles selon lesquelles la reprise économique s’amorce? La croissance n’aidera-t-elle pas à rembourser la dette?

– Je ne suis pas pessimiste. Je suis agacé par la capacité des responsables politiques à s’enfoncer dans les erreurs. Il y a des nouvelles positives en Allemagne. Elles ne sont pas trop mauvaises en Grande-Bretagne. L’Asie et l’Amérique latine sont des marchés importants et donnent du tonus à l’Europe. Une bonne surprise pourrait provenir de l’Espagne, ce qui lui permettrait d’éviter de demander de l’aide. Mais attention, les perspectives économiques sont généralement peu fiables, il ne faut pas trop s’emballer.

Pourquoi?

– Parce que le resserrement budgétaire en cours aura des conséquences. L’inflation inquiète également. On verra si les banques centrales décident de resserrer les taux d’intérêt. Ce serait un frein à la croissance. Les dettes publiques ont augmenté. Il faudra les réduire. Mais le redressement budgétaire est une question de vingt ans et non pas de six mois, comme veulent le faire croire des dirigeants européens. Ces derniers réagissent dans la panique pour satisfaire les marchés. Or la panique n’est pas forcément source de bon conseil. Il est regrettable qu’on n’ait pas eu des réactions plus réfléchies. La solution est d’adopter – et on commence à en parler depuis dix jours – des clauses constitutionnelles pour freiner l’endettement. Les Allemands ont adopté en juin 2009 un frein à l’endettement proche de ce qui est appliqué en Suisse. Il sera mis en place en 2016. Les marchés savent dès lors que son budget sera sous contrôle.

– Quels sont les écueils qui pourraient freiner la reprise?

– Outre les prix des matières premières qui augmentent et l’inflation qui en résulte, la crise en Europe est loin d’être terminée. On ne connaît pas l’impact, y compris sur les banques, d’éventuels défauts de certains pays. C’est un risque important. Les dettes publiques en Europe, mais aussi aux Etats-Unis et au Japon pèsent comme une épée de Damoclès sur l’économie mondiale. On se pose toujours la question: après l’Europe, à qui le tour?