Jean-Jacques Gauer: «Toute l’hôtellerie a été trop confiante»
Tourisme
Le nouveau président de l’Association romande des hôteliers n’est autre que Jean-Jacques Gauer, ancien pilier du Lausanne Palace. Il prévoit de nouer des liens plus forts avec les autres faîtières et veut trouver des réponses aux défis structurels de l’industrie – surcapacité en tête

Tout semble fermé. Sur la porte, une feuille A4 indique un numéro de portable à composer en cas de check-in. Les chaises sont entassées dans un coin. Les lumières, éteintes. Debout sur le perron de son auberge, à Cully (VD), Jean-Jacques Gauer salue les piétons et prend le soleil. Ce vendredi, cela fait huit jours qu’il a endossé ses habits de président de l’Association romande des hôteliers (ARH).
A 67 ans, celui qui fut pendant vingt ans patron du Lausanne Palace n’a plus rien à prouver. Il a pourtant accepté de reprendre le flambeau des mains de Philippe Thuner, en poste depuis vingt ans à la tête de cette association qui fédère 220 hôtels et rassemble quelque 5000 collaborateurs.
«Le Temps»: Vous n’êtes pas un peu âgé pour reprendre un tel poste?
Jean-Jacques Gauer: Evidemment que je suis trop vieux. Lorsque l’association m’a contacté il y a une année et demie, j’ai décliné. Mais avec la pandémie, les jeunes ont pris froid. Ou ils étaient dans une position d’employés et leurs patrons ne leur permettaient pas de dédier autant de temps à une association professionnelle. Alors on s’est souvenu du père Gauer. Cela dit, une de mes premières missions sera de me trouver un successeur puisqu’à 70 ans, je devrai de toute façon quitter la présidence. Suis-je trop vieux? Oui. Mais je me sens néanmoins à l’aise pour faire le job.
Un de vos confrères me disait qu’il n’y avait que des coups de bâton à prendre dans une position comme la vôtre. C’est votre avis?
J’espère qu’il y aura aussi parfois des bouquets de fleurs. Plus sérieusement, je pense que je peux réellement aider les membres à traverser cette crise le moins mal possible. En se montrant inventif, en réseautant, en dialoguant avec les autorités… Je rencontre déjà le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba cette semaine.
Les faîtières ont donc encore la cote? Une série de défections dans ces associations ces derniers mois laisse penser l’inverse…
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C’est vrai. Les faîtières séduisent moins. Elles ne s’adaptent pas assez vite à la nouvelle donne économique. Mais est-ce structurel ou est-ce que le problème vient des directions des faîtières qui manquent de dynamisme? Je pense pour ma part que la crise actuelle a montré l’intérêt de ces associations. Et qu’elles sortiront renforcées de cette période.
Toujours sur les faîtières… Comment vous distinguez-vous de GastroSuisse, l’association des cafetiers-restaurateurs qui s’occupe également d’hôtellerie?
Evidemment, ce serait mieux d’avoir une grande faîtière qui recouvre tout cela, mais quand cela se produira, je serai déjà mort. Tentez de réunir trois régions qui ont trois offices de tourisme différents, c’est déjà une sinécure. Je voudrais néanmoins rencontrer Casimir Platzer [président de GastroSuisse, ndlr] rapidement. Nous avons des points communs: comme moi, il gère un hôtel (à Kandersteg), il parle franchement, il a fait l’Ecole hôtelière de Lausanne, et il aime le bon vin. Je suis sûr que l’on aura beaucoup à échanger.
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Comment pouvez-vous prétendre représenter l’hôtellerie romande alors que Genève et le Valais ne font pas partie de votre association?
Je ne connais pas les bisbilles de l’époque. Mais une des premières choses que je ferai, c’est de me rendre à Genève pour rencontrer leur association et voir comment nous pourrons interagir avec ce canton qui possède la plus grande concentration de cinq-étoiles du pays. Je pense que nous allons coopérer et aligner nos stratégies. Pour le Valais, c’est différent, c’est un canton aussi très alémanique, avec des problématiques différentes. Et puis ce sont les Corses de la Suisse, je me vois mal aller leur dire ce qu’il faut faire chez eux.
A part vous trouver un successeur, vous avez d’autres ambitions?
Bien sûr… Mon vrai premier but, c’est de traverser cette crise et de trouver toutes les aides nécessaires, à fonds perdu. Beaucoup d’hôteliers ont un cruel besoin de cash, rapidement. Il y a eu les prêts covid, c’était d’une rapidité et d’une efficacité exemplaires. Ensuite, il y a eu les RHT, c’était un peu plus long mais il y avait énormément de demandes. Maintenant, pour les mesures d’urgence, ça traîne trop. Je suis étonné d’entendre nos autorités annoncer qu’on ferme désormais tout jusqu’à fin février au moins, mais que cette annonce ne soit pas immédiatement suivie d’un train de mesures.
Au moins, les hôtels sont considérés comme des cas de rigueur. Les restaurants, toujours pas.
Oui, mais même un petit hôtel emploie davantage de monde qu’un restaurant.
Le patron hôtelier Eric Fassbind, dans une récente interview, distinguait trois types d’hôtels. Les établissements gérés par des familles, les établissements de prestige gérés par de grandes fortunes et les établissements détenus par des fonds d’investissement. Faut-il aider ces trois types d’établissement de la même manière?
Non, il faut différencier les aides en fonction de qui les reçoit. L’indépendant hôtelier, comme Fassbind, qui prend des risques énormes et gère bien ses affaires, mérite d’être largement soutenu. Idem pour l’exploitant d’un petit hôtel de 20 chambres à Payerne. En revanche, l’aide doit être différente pour un hôtel détenu par un fonds d’investissement new-yorkais qui nage dans l’argent.
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Au-delà de ces aides, que voulez-vous faire à la tête de cette association?
Réévaluer les services que nous offrons à nos membres. Un exemple: l’hôtellerie urbaine est celle qui souffre le plus en Suisse pour l’instant. Il n’y a plus d’avions, plus de congrès, plus de séminaires… Ce marché mettra des années à s’en remettre. Même avec le vaccin, je ne suis pas sûr que ces hôtels retrouveront des 65-70% de fréquentation. Alors que va-t-on faire avec ces carcasses? J’aimerais lancer un vrai laboratoire d’idées sur l’avenir de l’hôtellerie, notamment urbaine.
N’y a-t-il pas surtout un problème de surcapacité? Ces prochains mois, 2200 nouvelles chambres sont attendues à Genève, 1200 à Lausanne…
C’est dingue, oui. Mais comprenez que ces projets ont été décidés il y a huit-dix ans. Entre les oppositions, les permis de construire, ça prend une dizaine d’années de les monter. On était alors dans un climat économique qui permettait de dire que cette belle Suisse romande allait avoir besoin de capacité hôtelière supplémentaire. On pensait que Cointrin gagnerait 2 millions de passagers en plus chaque année… Ces trois dernières années, je n’ai moi-même jamais vu autant de touristes asiatiques en Lavaux. Toute l’hôtellerie a été trop confiante. Quand j’entends qu’au bout du lac, ça tourne autour de 7-15% d’occupation, il faut impérativement trouver des idées pour se sortir de là.
Que va-t-on faire avec ces hôtels?
Les transformer en EMS n’est pas forcément possible. D’où mon idée de rassembler les gens autour de la table pour que naissent des idées. Cela passe aussi par la consolidation des liens avec les restaurateurs, ou Suisse Tourisme par exemple.
Selon une étude de l’école de Sierre, un quart des hôtels du pays est menacé de faillite. Vous y croyez?
Cela dépendra de la façon dont on accompagne cette crise. Mais regardez, à Genève, l’Hôtel Beau-Rivage a été vendu in extremis. L’hôtel Boas, vers Cointrin, est en cessation de paiement. Ça va vite. L’édifice de l’hôtellerie et de la restauration commence à sacrément vaciller.