Publicité

Les jeux de société font leur retour en grâce

Encouragés par le succès d’Helvetiq, Game Works ou Hurricane Games, de nouveaux éditeurs romands tentent leur chance sur un marché en forte croissance. Certains jeux suisses sont édités à plus de 200 000 exemplaires

Hadi Barkat, fondateur de la PME Helvetiq, a déjà conçu plus de 60 jeux, exportés dans 26 pays.  — © Eddy Mottaz pour Le Temps
Hadi Barkat, fondateur de la PME Helvetiq, a déjà conçu plus de 60 jeux, exportés dans 26 pays.  — © Eddy Mottaz pour Le Temps

Dans une brasserie lausannoise, Hadi Barkat sort de son sac son dernier-né: Staka. Il propose aussitôt de faire une partie et annonce le top départ pour mettre le plus rapidement possible en équilibre des rondelles en bois selon le modèle proposé par une carte. Sa tour remporte la manche tandis que celle de son interlocutrice s’effondre, tout près du but.

Hadi Barkat, fondateur d’Helvetiq, fait partie de ces passionnés qui ont choisi de se lancer dans l’édition de jeux de société. «C’est un domaine en expansion depuis une vingtaine d’années, avec une croissance à deux chiffres», constate le responsable de cette PME lausannoise qui a fêté cette année ses dix ans d’activité. Après avoir été rangés dans les placards au profit des jeux vidéo et autres écrans, ils font leur retour en force, avec chaque année des nouvelles créations qui tentent de se faire une place aux côtés des traditionnels Monopoly, Puissance 4 ou 1000 bornes.

Lire aussi: Helvetiq, une success-story ludique

«En Allemagne, à la dernière foire d’Essen dédiée aux jeux, 1200 nouveautés étaient proposées, constate Ulrich Schädler, directeur du Musée suisse du jeu à La Tour-de-Peilz. Les créateurs et éditeurs viennent du monde entier.» La Suisse en fait partie.

Parmi les éditeurs romands, il y a Helvetiq, une société lausannoise de neuf personnes, connue notamment pour son jeu de cartes Bandido – édité à plus de 105 000 exemplaires. Cette PME a déjà conçu plus 60 jeux qui ont été exportés dans 26 pays.

Du capital-risque au jeu

Ingénieur en informatique de l’EPFL, Hadi Barkat a travaillé dans le capital-risque avant de se lancer dans l’édition de jeux. Comment fait-il ses choix parmi les différents projets qui lui sont proposés? «Nous aimons les jeux qu’on explique très vite et ceux dit coopératifs, où l’on gagne tous ensemble. Cela évite ainsi de faire pleurer les enfants», dit-il.

Ce qui distingue sa maison d’édition des géants du secteur, c’est le design épuré des produits, à l’exemple de Smak, un nouveau jeu de quilles en bois alliant adresse et stratégie. Il sera commercialisé en 2019. «Notre maison d’édition donne une image de design suisse qui plaît à l’étranger», estime l’entrepreneur, qui ne dévoile pas son chiffre d’affaires mais assure enregistrer des chiffres noirs.

Hadi Barkat en a vu passer des modèles d’affaires, en tant que capital-risqueur. Il a compris qu’un éditeur suisse de jeux devait se tourner rapidement vers l’international et y travailler avec des distributeurs. En revanche, pour le marché suisse, la PME a préféré construire son propre réseau de distribution ainsi que son équipe de vente.

Des ventes portées par les millennials

Au côté d’Helvetiq, on retrouve d’autres éditeurs romands, tel Game Works à Vevey, créateur de douze jeux, dont un succès, Jaipur. Celui-ci a été édité à près de 200 000 exemplaires. Sébastien Pauchon, qui a appris son métier sur le tas, travaille en solo. «Le succès d’un jeu est très subjectif et hasardeux. La grande difficulté reste la visibilité sur les salons, internet et sur certains sites communautaires comme Tric Trac, dit-il. On peut vivre de ce métier, mais il n’y a pas de filière pour devenir éditeur ou créateur de jeux.»

Certains distributeurs romands se lancent aussi dans leur propre création, à l’exemple d’Hurrican Games à Veyrier, à l’origine de Mr Jack, vendu à plus de 250 000 exemplaires. La société lausannoise FB Distribution a lancé son jeu de cartes maison, Bla5t, édité à 7000 exemplaires. «Il y a aujourd’hui trop de choix. Entre 50 et 100 nouveautés sortent chaque mois en Europe», constate Franck Boisseau, directeur de FB Distribution à Prilly (VD), qui doit faire face à des géants comme l’américain Hasbro ou le français Asmodée, lequel a multiplié par quinze son chiffre d’affaires au cours des dix dernières années.

Lire aussi:  Le jeu de société qui repasse les plats de l’Histoire

Un marché porté par les millennials

Comment expliquer cette explosion des jeux de société? «Les livres, les DVD et les jeux vidéo sont des secteurs sinistrés. Les magasins ont adapté leur offre. Et ces jeux plaisent, non seulement aux enfants mais surtout aux millennials, les 18-34 ans, qui réalisent 46% des achats.

La difficulté pour une société suisse d’édition de jeux reste principalement l’aspect financier

Marion Bareil, cofondatrice de Tourmaline Studio

Plusieurs particuliers romands veulent alors tenter l’aventure du jeu où les marges sont évaluées entre 4 et 10% pour les créateurs, 20% pour les distributeurs et près de 40% pour les magasins. Ils passent souvent par une campagne de financement participatif pour démarrer leur activité. Marcus Veith, à Genève, songe à ce type de financement pour lancer son jeu dénommé PlayerManager.

Photographe et actif dans une agence de communication, Marcus Veith a finalisé son prototype et cherche aujourd’hui un fabricant. «J’ai des contacts en Pologne, en Slovaquie et en Chine», note ce féru de football, qui a créé un jeu de plateau où l’on doit constituer les meilleures équipes en achetant des cartes de joueurs de football. Ceux-ci s’affrontent au centre du plateau par des lancers de dés. «Les joueurs peuvent personnaliser leur pion sur le web en fonction de leur équipe favorite», explique Markus Veith, qui dit être en pourparlers avec plusieurs clubs de football en Italie et espère proposer son jeu pour Noël 2019.

De son côté, Marion Bareil, issue de la HEAD à Genève, a créé avec Camille Attard la start-up Tourmaline Studio. Alliant figurines et application pour tablette, les deux jeunes femmes commercialisent des personnages en plastique qui dégagent de l’électricité statique. «Les enfants les font glisser sur leur tablette pour résoudre des énigmes, des puzzles et explorer l’île mystérieuse d’Oniri Islands, explique Marion Bareil, qui vient de démarrer la commercialisation. Nous avons eu un accueil assez positif depuis le lancement et avons des commandes tous les jours, principalement de France et de Suisse. La difficulté pour une société suisse d’édition de jeux reste principalement l’aspect financier, malgré des soutiens d’institutions comme Pro Helvetia.»

A consulter:  Jeux et société | Le blog de Yannick Rochat