Le studio Banana, établi dans l’ancienne galerie d’art lausannoise Lucy McKintosh, est un espace hors du commun où le visiteur doit tirer sur une banane en plastique pour éclairer un couloir qui mène à une salle de réunion en sous-sol.

Entendre avec les os

Boules à neige, skis en bois et tête de cerf cartonné en ornent les murs. Key Kawamura, le maître des lieux, prévoit de lancer, dès le mois de septembre, la commercialisation d’un objet surprenant. Un casque audio fonctionnant par conduction osseuse. Il permet d’écouter de la musique par les os du crâne. Les écouteurs ne se placent pas sur les oreilles mais juste au-dessus. L’appareil émet alors des vibrations imperceptibles sur les os de la mâchoire et de la tempe. Ces ondes vont se propager dans les os du crâne jusqu’à la cochlée qui pourra traiter le signal sonore. «La musique du casque et les sons ambiants n’empruntent ainsi pas le même chemin», explique Key Kawamura qui destine son casque essentiellement aux personnes qui doivent veiller à l’environnement sonore ambiant, à l’exemple des sportifs en milieu urbain ou des personnes sur leur lieu de travail qui veulent maintenir un contact avec les collègues. «C’est ce qu’on appelle du son immersif. La personne peut parler à son entourage, tout en étant baigné dans un univers musical», explique Key Kawamura, cofondateur de l’entreprise.

En voiture pour le financement participatif

Pour financer ce projet, l’entreprise est parvenue à lever, en octobre 2015, 821 000 dollars sur le site américain de financement participatif Kickstarter, soit six fois plus qu’escompté. Et cela auprès de 4516 contributeurs. Cette somme a permis de lancer la production en Chine.

Le studio Banana est également à l’origine d’un autre objet surprenant, à l’exemple d’un coussin dénommé Ostrich Pillow (le coussin autruche). Ressemblant à un scaphandrier en mousse, il facilite les turbo-siestes au bureau. Un véritable succès puisque la start-up en a déjà écoulé 200 000 exemplaires dans le monde entier. «Produit en Espagne, il a permis de sauver une coopérative de textile employant trente femmes dans un petit village», souligne Key Kawamura, lui-même adepte de la sieste au bureau. Son coussin a également bénéficié d’un financement de 300 000,00 francs sur Kickstarter alors qu’aucun fabricant de mobilier design n’y aurait investi un franc. Comment explique-t-il un tel succès sur Kickstarter? «Il faut réaliser une bonne présentation, avec un véritable scénario autour du produit. C’est fondamental. On a travaillé sur cette communication pendant trois mois.»

Le français avec un accent ibérique

Mais qui est cet inventeur d’objets étonnants qui parle le français, avec un léger accent ibérique? «J’ai grandi et étudié dans le nord de l’Espagne. A l’âge de six ans, pour être sensibilisé à la culture japonaise, mes parents ont décidé de m’envoyer au Japon, chez mes grands-parents maternels.»

Il y fréquente une école appartenant à la communauté ittoen, une sorte de kibboutz japonais où les membres vivent en autarcie et où l’accent est mis sur le service gratuit sans désir d’en tirer quelque chose en retour. «Je pense que ce séjour m’a marqué et a défini une partie de ma personnalité. Depuis, je n’ai plus peur de rien», dit-il avec calme et sérénité. Son retour en Espagne auprès de ses parents, plusieurs mois plus tard, constituera pourtant un véritable choc culturel. «Mais à cet âge, la capacité de résilience est énorme», se souvient-il.

Une prédilection pour la philosophie

Il étudie alors dans un lycée catholique, avec comme matière de prédilection la philosophie. Rapidement, il cherche à échapper à cette éducation trop dogmatique influencée par l’Eglise. A l’âge de dix-sept ans, il part à Londres pour suivre des études d’architecture dans un environnement qu’il considère comme plus ouvert au débat d’idées. Et c’est là qu’il fait une rencontre décisive: Ali Ganjavian, un étudiant iranien-britannique qui deviendra le futur associé de Studio Banana. «Nous sommes parfaitement complémentaires. Impatient, il a une âme d’entrepreneur et a des idées folles» dit Key Kawamura qui, pour sa part, tempère, analyse et rationalise. «Nous avons connu des parcours de vie très différents. J’ai baigné dans un environnement plutôt artistique et humanitaire. Ma mère est une historienne d’art fascinée d’architecture. En vacances, nous n’allions jamais à la plage mais visitions que des musées, palais ou églises. Quant à mon père, anesthésiste, il a toujours été au service des autres.»

Le bureau d’architecte Sanaa

Ses études d’architecture terminées, Key Kawamura part à Tokyo pour rejoindre le bureau d’architecte Sanaa, à l’origine notamment du Rolex Learning Center de l’EPFL. «J’ai beaucoup appris mais j’ai découvert une autre facette du Japon où les employés travaillent 16 heures par jour et dorment sur leur lieu de travail.» Pas convaincu par ce rythme de vie, il rejoint le bureau d’architecte Herzog et de Meuron à Bâle où il rencontre d’ailleurs sa femme avec qui il a aujourd’hui deux enfants de 2 et 4 ans.

Départ pour Madrid

En 2008, il décide de partir à Madrid – une ville où tout est possible, dit-il – et y rejoint son ami Ali Ganjavian avec qui il fonde Studio Banana, à la rue Platano (banane en espagnol). «Les noms de fruits, cela marche plutôt bien», dit-il avec humour en faisant référence à Apple. La start-up démarre ses activités en lançant le premier espace de co-working de Madrid, un lieu de travail destiné aux créateurs de toutes sortes, attirés par ce partage et cette mutualisation des compétences. Les deux entrepreneurs lancent par la suite une agence de création, appelée agence d’imagination. Ils conçoivent des espaces de travail pour des entreprises. Le succès est vite au rendez-vous, avec des clients comme Nestlé ou DuPont. Studio Banana ouvre des filiales à Londres et à Lausanne.

Depuis un peu plus d’une année, la société commercialise ses propres inventions, à l’exemple de casques audio, de coussin ou d’une lampe design pliable à souhait. Des lunettes à induction osseuse (Zungle) ont déjà été lancées aux Etats-Unis mais cela ne perturbe par Key Kawamura. «C’est bien que plusieurs applications se développent autour d’une technologie. Cela permet de familiariser le marché avec les possibilités offertes par une invention. Nous avons ciblé la plus haute fidélité possible. En outre, notre casque permet un usage aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur.»


Profil

1986 Expérience au centre Ittoen à Kyoto, Japon
1997 Début de ses études à Londres
2004 Travail chez Herzog & de Meuron à Bâle
2008 Lancement du Studio Banana
2009 Premier séjour aux camps de réfugiés du Sahara Occidental