Les statistiques de la banque centrale russe publiées vendredi indiquent qu’en 2016 5,1 milliards de dollars ont quitté le pays pour la Suisse. C’est un record depuis le début de la publication de ces statistiques en 2006 par l’institut d’émission. Par rapport à 2015, le chiffre a été multiplié par trois. La deuxième destination préférée des capitaux russes et la Lettonie (2,113 milliards de dollars, sans changement par rapport à 2015). Viennent ensuite les États-Unis et Monaco. La moyenne des sommes transférées vers la Suisse est de 17 500 dollars par transaction, tandis qu’elle est dix fois supérieure vers Monaco.

La Russie, un marché important

«Les grandes banques comme UBS et Credit Suisse se sont mises à refuser les clients russes par crainte de sanctions officieuses des Etats-Unis, explique au Temps un banquier travaillant pour un petit établissement privé suisse. Nous en avons bénéficié, car nous ne regardons pas le passeport de nos clients. La Russie est un marché très important pour nous.» La source bancaire reconnaît que le contrôle du fisc russe s’est considérablement durci au cours des deux dernières années et qu’il lui arrive aussi de refuser des certains clients. «Il n’est pas toujours facile de classifier un client comme russe: il peut avoir plusieurs passeports, avoir sa résidence fiscale ou des biens et actifs hors de son pays d’origine.»

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En tant que phénomène global, la fuite des capitaux russes n’est plus ce qu’elle était au tournant des années 2000-2010, lorsque ce chiffre atteignait les 100 milliards de dollars par an contre environ 35 milliards en 2016. Mais la banque centrale russe observe une poussée de 6,3% sur les deux premiers mois de l’année 2017. Pour cette année, l’ancien vice-ministre de l’Economie Andreï Klepatch table sur une fourchette entre 20 et 30 milliards de dollars.

Oligarques délivrés du fardeau fiscal

Le Kremlin a trouvé une parade afin de réduire l’appétit des oligarques pour les coffres offshore. Ceux qui parmi eux sont frappés par les sanctions internationales – liées à l’annexion de la Crimée et au conflit dans l’est de l’Ukraine – pourront désormais être complètement délivrés de tout fardeau fiscal. Un projet de loi en ce sens vient d’être approuvé vendredi par la chambre basse du parlement russe. Les individus figurant sur la liste des sanctions européennes ou américaines – parmi lesquels figurent une bonne dizaine de milliardaires – ont désormais la possibilité de soumettre une demande de «non-résidence fiscale en Russie», même s’ils résident plus de 6 mois par an dans leur patrie.

Retour du «féodalisme» dénoncé

Dans le passé, Vladimir Poutine avait déjà promis que l’État russe aiderait les «victimes» des sanctions par des «compensations» sous la forme de préférences octroyées lors de l’attribution de grands marchés publics. Surnommé le «Roi des contrats d’État», Arkady Rotenberg a déjà fait savoir qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’un traitement préférentiel. Frappé par les sanctions pour être un ami d’enfance de Vladimir Poutine en même temps d’un milliardaire très influent, il a flairé un danger. «Les pertes en termes de réputation sont trop élevées par rapport aux avantages financiers», décrypte pour Le Temps une source proche du gouvernement russe.

La presse d’opposition a immédiatement dénoncé ce qu’elle considère comme un retour du «féodalisme». Pour Ioulia Latynina, éditorialiste de Novaïa Gazeta, «l’amendement [sur la loi fiscale, ndlr] peut être reformulé ainsi: les amis du président sont libérés de toute charge fiscale. Point. Nous savions déjà que ces gens-là ne paient que ce qu’ils veulent. Simplement, c’est désormais inscrit dans la loi», ce qui, selon elle, rapproche la Russie de la France… sous Louis XIV.