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L'affaire Enron révèle l'inertie des agences de notation financière

Après les cabinets de révision et les banques, les grandes agences de notation financière peinent à tirer les enseignements de la faillite du courtier en énergie Enron. Mais Moody's et Standard & Poor's se préparent à noter plus souvent les sociétés analysées.

La faillite du géant américain Enron a mis sur la sellette non seulement les cabinets de révision, mais aussi les agences de notation financière. Chargées d'émettre régulièrement des notes relatives à la solvabilité des émetteurs d'emprunts – publics ou privés – les agences de notation se voient en effet reprocher de mettre trop de temps à réagir aux changements affectant la situation financière des entreprises analysées. Car une semaine avant l'annonce de la faillite, Enron figurait encore dans l'univers d'investissement des deux plus grandes agences de notation, soit Moody's et Standard & Poor's. Au grand dam aujourd'hui des porteurs d'obligations.

Les agences ont bien sûr dû s'en expliquer. Il faut dire que la chute des valeurs de la Nouvelle Economie les avait déjà préparées à cet exercice. Si, par le biais de Christopher Mahoney, le responsable de son comité de crédit, Moody's a été la première à envisager de raccourcir les périodes de révision, voire la suppression des fameuses «perspectives» de notes (à long terme), aucune mesure concrète n'a été décidée pour l'instant. A son tour, Standard & Poor's a réagi vendredi par le biais d'un communiqué. «Le cas Enron a exacerbé la question de la qualité et de l'intégrité de la présentation des informations financières. Mais les agences de notation ne sont pas des réviseurs. Leurs analyses se fondent essentiellement sur des informations destinées au public», a même tenu à se justifier Standard & Poor's. Qu'est-ce qui va changer malgré tout? Tout d'abord, le rythme de publication des commentaires va s'accélérer pour «être de plus en plus lié aux événements du marché, y compris aux habituelles publications de résultats et autres communications», précise Standard & Poor's. Mais les spécialistes ne cachent pas que cette plus grande réactivité face à l'évolution du marché exigera des ressources supplémentaires pour éviter une dégradation de la qualité.

Pourtant, les banques d'investissement ont elles aussi péché en tardant à réagir. Ce retard s'expliquerait en partie par les conflits d'intérêts qui existent avec les autres activités de la banque, qui peuvent pâtir de mauvaises perspectives. «Les analystes n'ont pas de véritable motivation à fonctionner en tant que système d'avertissement anticipé», relevait à ce sujet la NZZ de lundi. Au Crédit Suisse First Boston (CSFB), on estime que «les banques d'investissement ont déjà réagi en se rapprochant du marché, ce qui n'a pas encore été le cas des grandes agences de notation financière», ainsi que le souligne Nanette Hechler, responsable de la recherche obligataire sur le marché suisse. Et de rappeler les circonstances qui ont incité le CSFB à prendre des mesures dans ce sens l'an dernier, après la forte augmentation de la volatilité et des spreads observée en quelques semaines. Ce qui a aiguisé la sensibilité des marchés aux risques de crédit.

Mais a-t-on tiré quelque enseignement en Suisse de la banqueroute de Swissair (dont les obligations se traitent actuellement à 7% de leur valeur nominale)? A la ZKB (Banque Cantonale de Zurich), Luca Corletto, responsable de la recherche obligataire, ne voit pas la nécessité de modifier l'approche de la banque, laquelle occupe en Suisse le deuxième rang dans les émissions d'emprunts domestiques, derrière justement le CS First Boston mais devant UBS Warburg. «Nous avons de toute façon pour habitude de réagir plus rapidement que les grandes agences mondiales», commente le spécialiste zurichois. Pour ce dernier, «la publication des bénéfices ne devrait pas exercer d'impact majeur sur la note de solvabilité d'un débiteur». Quant aux emprunts Swissair, «nous avons recommandé de les vendre en avril 2001. Ceux qui voulaient les conserver le faisaient à leurs risques et périls et en connaissance de cause». Parmi les principaux émois ressentis récemment sur le marché obligataire helvétique, il convient de signaler ceux occasionnés par les emprunts de Ascom ou de Von Roll, lesquels se traitent actuellement à, respectivement, la moitié et un peu plus d'un tiers de leurs valeurs nominales.